Des monticules de neige et des voitures immatriculées en Italie. C'est ce que l'on remarque en arrivant sur le site de Saint-Moritz (GR), là où se trouve la seule et unique piste naturelle de bob au monde. Le lieu est en pleine effervescence. Les camions et les pelleteuses, tous lourdement chargés, se croisent les uns après les autres sur la voie étroite qui longe la piste.
Au niveau du Martineau Corner, le virage le plus long de l'Olympia Bob Run (130 mètres), ils sont plusieurs à travailler de manière concentrée et efficace. La neige est d'abord imbibée d'eau. Elle est ensuite pelletée pour qu'une épaisseur de deux mètres soit plaquée contre l'impressionnante paroi abrupte. Depuis que la neige artificielle est utilisée, la construction de la piste de bob est devenue plus facile. Mais le procédé n'en est pas moins strict. Près de 14 000 m3 de neige sont nécessaires pour façonner ce tube gelé.
Là où les équipes progressent mètre par mètre, sans mots, pour mettre de l'ardeur au travail, la silhouette de la piste se dessine. Anton, Paul et Alfred sont les plus expérimentés des 15 spécialistes venus du Val Venosta, une vallée alpine de la province italienne de Bolzano. Depuis des décennies, ils débarquent hiver après hiver en Engadine, avant que ne débute officiellement la saison. Ils logent parfois sur le site de la Bob Run. La troupe dispose même de son propre cuisinier. Alfred travaille la piste depuis 40 ans. Ses fils font également partie de l'équipe.
Pendant trois bonnes semaines, les Tyroliens du Sud conçoivent un toboggan glacé unique au monde. Ils sont ensuite responsables de la piste jusqu'à la fin de la saison. Chacun se voit attribuer une section, qui doit être travaillée et entretenue quotidiennement. Les plus expérimentés choisissent leur portion, ils s'occupent des passages clés, les plus exigeants de la piste. C'est ainsi qu'Alfred, 63 ans, gère le Horse Shoe.
Christian Brantschen est impressionné par les méthodes de travail des habitants de Vinschgau. Il reconnaît leur éthique et leur fiabilité. Depuis plus de deux décennies, Brantschen est le maire de Celerina, la commune qui jouxte Saint-Moritz. Il est aussi le chef de chantier de cette piste. Et ce, depuis 1990, alors qu'il gère aussi la Cresta Run dédiée au skeleton, depuis 1977. Le défunt père, Josef, travaillait comme son fils dans le secteur de la construction. Lui aussi s'est longtemps investi dans l'élaboration des pistes de Saint-Moritz. Etant le spécialiste des «rubans glacés», il a vécu de près les Jeux olympiques d'hiver de 1948, organisés dans la station grisonne.
Christian Brantschen est certainement le mieux placé pour expliquer les diverses étapes de la construction. Actuellement, les ouvriers s'occupent du gros œuvre. Plus tard, on y déposera le crépi, entendez le givrage. Une fine couche de neige - de deux à trois centimètres d'épaisseur - sera étalée sur la piste, puis aspergée d'eau. Et ceci sera répété, plusieurs fois.
En été, les Tyroliens du Sud travaillent à la maison. Ils sont agriculteurs, alpagistes, cantonniers ou ouvriers du bâtiment. Ils ont l'habitude de mettre la main à la pâte. Mais à Saint-Moritz, ce qu'ils font n'a rien d'un simple travail. Leur ouvrage répond également aux plus hautes exigences esthétiques – ils conçoivent une véritable œuvre d'art. La plupart des travailleurs ont un fort attachement à la piste. Il n'est pas rare qu'ils se lèvent en pleine nuit, car c'est là que les températures sont les plus propices à une glaciation rapide.
La passion de Brantschen transparaît à mesure qu'il explique la géométrie des courbes. A l'aide de croquis, installé depuis la salle du conseil municipal de Celerina où il nous reçoit. C'est une science qui exige une précision absolue et n'autorise aucune erreur. Car la situation pourrait vite devenir critique pour les athlètes. La géométrie est décisive pour déterminer si une piste sera exigeante, voire dangereuse. Chaque courbe doit absorber de manière régulière la pression subie par le bob, de sorte que l'engin puisse rester contrôlable, et sortir du virage sans le moindre dommage collatéral.
Le rayon de courbure est délimité lors de la construction, au moyen de points fixes. Il évolue à mesure que le virage se dessine. Il doit être précis: tout se joue au centimètre près. Des corrections après les tests sont certes possibles, mais c'est «sacrément difficile», confie Christian Brantschen.
En cette matinée de décembre, le thermomètre affiche -15°C. Pour le traitement de la neige, des températures plus chaudes seraient appréciées. Mais la météo ne se commande pas, dit Brantschen. Grâce à leur expérience, les experts ont de toute manière appris à maîtriser les éléments, comme ce fœhn chaud venant parfois du sud.
L'idéal serait des nuits froides après le gros œuvre, afin que la neige ait suffisamment le temps de geler. Christian Brantschen sait que l'on ne peut pas faire abstraction de l'augmentation des températures moyennes depuis trois décennies, «mais pour la piste de bob, cela ne joue pas un rôle décisif, en raison de l'altitude à plus de 1800 mètres».
Des hivers peu enneigés sont déjà survenus par le passé. D'après les enregistrements des Jeux d'hiver de 1948, il était question de pluie peu avant l'ouverture de la piste. Et Brantschen se souvient d'années où l'on transportait la neige en traîneau depuis les cols de l'Albula et de la Bernina. Gregor Stähli, directeur de l'Olympia Bob Run de Saint-Moritz – Celerina, ose même affirmer: «Nous avons la piste de bob la plus équitable au monde». Et surtout, il explique que sur les tracés artificiels, selon les circonstances extérieures, la glace ralentit souvent de manière sensible dès le cinquième ou sixième passage.
Christian Brantschen est fier d'avoir su préserver la construction manuelle de la piste. Son équipe renonce à mesurer les distances avec des appareils dédiés. Tout est fait en harmonie avec la nature. Ce passionné de randonnée précise: «La nature nous donne le rythme. C'est la seule façon de fonctionner». Sa relation avec la piste est particulière. Grâce à son père, il a grandi à proximité. Pendant de nombreuses années, il a lui-même aidé à la construction des imposants virages, pelle en mains. Aujourd'hui, il joue plutôt le rôle de coordinateur, et sait qu'il peut compter à tout moment sur son équipe.
Depuis le 23 novembre, les gars de Vinschgau sont au travail. Si tout se passe bien, l'œuvre sera terminée le 21 décembre. L'ouverture officielle aura lieu le 26 et l'exploitation se poursuivra ensuite jusqu'au 10 mars. L'hiver dernier, la piste naturelle a enregistré environ 7 000 passages. Parmi ceux-ci, 1 300 étaient des descentes dédiées aux novices, au cours desquelles un pilote expérimenté guide un passager dans le couloir de glace. Une telle aventure peut être réservée pour un prix de 269 francs.
Une fois la saison terminée, la piste retombe entre les mains de la nature, jusqu'au début de l'hiver suivant. En fonction de la météo, il arrive que les bords du Horse Shoe Corner soient encore visibles en juin.
Actuellement, ce site unique est doublement évoqué comme atout pour des Jeux olympiques durables. En plus du projet helvétique pour 2038, les organisateurs de Milan-Cortina 2026 songent à se rabattre sur la piste grisonne, pour éviter d'en construire ou d'en rénover une en Italie.
Outre l'Engadine, des possibilités en Autriche, en Allemagne et en France sont également à l'étude. Même les pistes de bob de Pékin et de Salt Lake City ont récemment montré leur intérêt. D'un point de vue écologique, le Comité international olympique (CIO) recommande l'alternative de Saint-Moritz. Gregor Stähli, le directeur, a déjà déposé son dossier de candidature. 48 pages, expliquant tout aux organisateurs italiens.
Brantschen et Stähli réfutent les affirmations selon lesquelles les conditions extérieures ne permettraient pas de solliciter la piste naturelle en février, période à laquelle se tiennent les Jeux olympiques. Au contraire: «D'après mon expérience, février est le meilleur mois de l'année», affirme le maire de Celerina. Stähli, triple champion du monde de skeleton et double médaillé olympique, ajoute:
On ne sait pas exactement quand la décision italienne sera prise, d'autant que l’option de la construction d’une piste à Cortina, au lieu de la rénovation de celle de Cesana (utilisée lors des Jeux de Turin 2006), est à nouveau évoquée. De son côté, le dossier grison tient la route. Outre les finances, les transports et la sécurité, il peut compter sur un atout majeur: le parc d'hébergements, aussi bien pour les athlètes que les officiels et les spectateurs.
Mais il ne faut pas tarder, explique Gregor Stähli: «A un moment donné, dans un avenir proche, les réservations seront faites par les vacanciers».
Adaptation en français: Romuald Cachod.