Ce samedi soir 3 décembre 2005, tous les yeux des spectateurs de la patinoire Saint-Léonard et les objectifs des photographes sont rivés sur un hockeyeur qui vient de rentrer sur la glace.
Ce n'est pas parce qu'il est impressionnant physiquement (173 cm et un poids plume) ni à cause de sa grille sur le casque. Non, si le visage poupon qui se cache derrière attire autant l'attention, c'est parce que c'est celui d'Andreï Bykov, 17 ans, fils de la légende de Gottéron, Slava Bykov.
Près de 2811 jours après le dernier match du père avec les Dragons en 1998, c'est le fiston qui dispute sa première partie avec l'équipe fanion du club fribourgeois. Andreï, encore junior, a été appelé à la rescousse par le coach Mike McParland pour combler plusieurs absences. En face, l'adversaire s'appelle Lugano, leader de LNA. Mais pas de quoi rendre nerveux le jeune Andreï. «On était un peu inconscient à cette époque», rembobine Adrien Lauper (35 ans), lui aussi pur produit de la formation fribourgeoise, qui venait de rejoindre la première équipe.
Ce soir-là, face aux Luganais, la projection des deux jeunes Dragons a bien failli devenir réalité. «En fait, j'ai un peu gâché la fête d'Andreï», se marre Adrien Lauper. La faute à une action en particulier:
Rien de grave, puisqu'à la surprise générale, Fribourg bat les Tessinois 5-2. A la fin du match, Bykov – qui a griffé la glace pendant un peu plus de quatre minutes – a droit à une chanson des supporters et un rappel, comme le mentionnait l'édition du lendemain de La Liberté.
Le 10 janvier dernier, 18 ans plus tard, il a reçu le même genre d'hommage, mais pas pour la même raison. Cette fois, les fans de Gottéron louaient sa fidélité au club et adressaient un message on ne peut plus clair au directeur sportif et entraîneur, Christian Dubé, sur une banderole:
Convaincu par les récentes prestations de son numéro 89, le boss canadien lui a accordé une prolongation d'une saison, soit jusqu'au printemps 2024. Andreï Bykov disputera donc une 19e saison consécutive avec la première équipe de Gottéron. Autrement dit: une éternité en hockey sur glace, un sport où les «clubistes» se font de plus en plus rares.
Depuis 2005, Andreï a gagné quelques kilos de muscles, des poils de barbe et de la maturité, mais il est resté le même selon ses anciens coéquipiers. «Il était assez timide quand il a débarqué en première équipe, mais il s'est vite intégré», se souvient Raphaël Berger, Dragon jusqu'en 2007. «Andreï est quelqu'un d'introverti, mais dès qu'il se sent à l'aise dans un environnement, il peut se lâcher et déconner», appuie Michael Ngoy. L'ex-gardien Gianluca Mona, qui défendait la cage fribourgeoise lors du baptême de Bykov en 2005, confirme:
La fête, il en est d'ailleurs vite devenu le responsable dans le vestiaire de Saint-Léonard. Grand passionné de musique, il s'est logiquement mué dans le rôle de DJ avant et après les entraînements et les matchs. Son style préféré? «La house et le hip-hop», se souvient Michael Ngoy. «Mais il devait contenter tout le monde, alors il a aussi dû passer parfois de la country pour les Canadiens, par exemple Shawn Heins, qui en raffolaient.»
Sur la glace – où il impressionne par sa vitesse de patinage – ou dans le vestiaire, le fils de Slava est du genre artiste. Avec une sensibilité hors norme dans le hockey. «Il a toujours été quelqu'un d'entier, qui n'a jamais réussi à cacher ses émotions», rembobine Michael Ngoy.
Alors quand la musique avait cessé dans le vestiaire et que le jeune Andreï rongeait son spleen sur le banc, mieux valait ne pas trop lui adresser la parole. «Il était assez susceptible, avec parfois des changements d'humeur soudains. Dans ces moments plus délicats, on marchait sur des œufs quand on lui parlait», rigole Michael Ngoy.
Malgré ça, le numéro 89 a toujours fait l'unanimité parmi ses collègues. «Depuis le début, c'est un gars très sympa, jamais méchant ni arrogant», résume Adrien Lauper. Dès ses premiers coups de patin chez les pros de Gottéron, il a réussi à se délester du prestigieux mais aussi lourd héritage légué par son père. «J'allais souvent chez les Bykov», poursuit Adrien Lauper, «mais on ne parlait jamais de hockey, même quand Slava était là».
Dix-huit ans plus tard, il peut affirmer sans la moindre hésitation qu'il y est parvenu. Avec une telle longévité à Gottéron, son (pré)nom ne disparaîtra pas de sitôt de la bouche des Fribourgeois.