De nombreux suiveurs du hockey suisse auraient rigolé si on leur avait dit il y a trois ans que Rapperswil, alors lanterne rouge de National League, serait l'une des meilleures équipes du pays et un prétendant au titre. «Rappi» était alors perçu comme l'éternel loser, l'équipe à qui beaucoup attribuaient sans hésitation la dernière place au moment des pronostics d'avant-saison.
Mais en seulement trois ans, beaucoup de choses ont changé dans la cité des bords du lac de Zurich. Désormais, les seuls qui font rire à Rapperswil, ce sont les clowns du cirque Knie, qui y possède son quartier général. Mais certainement plus les hockeyeurs.
Ceux-ci inspirent l'admiration chez leurs fans et la crainte chez leurs adversaires. Et pour cause: ils viennent de boucler une deuxième excellente saison régulière de suite, en se classant au 3e rang (un de mieux que l'an dernier). Et puis, il y a deux ans, ils avaient atteint à la surprise générale les demi-finales des play-offs, malgré une 10e place. Le HC Bienne s'en souvient très bien: les Seelandais avaient subi la loi des Saint-Gallois en pré-playoffs. Mais comment expliquer pareil saut dans la hiérarchie du hockey suisse?
Le défenseur fribourgeois des Lakers, David Aebischer (22 ans), donne un premier élément de réponse:
Igor Jelovac, encore Saint-Gallois la saison passée et désormais au Lausanne HC, garde aussi de très bons souvenirs de son passage de deux ans à «Rappi». «C'est un club familial, on allait par exemple parfois manger avec les sponsors tous ensemble directement après les matchs», applaudit-il.
Oui, l'entraîneur suédois, arrivé en été 2021, sait y faire. D'abord humainement. «Il est proche de ses joueurs», se rappelle Igor Jelovac. «C'est un excellent pédagogue», appuie David Aebsicher. «Il explique toujours très bien ses choix. Et quand il a débarqué, il a donné sa chance à chacun des joueurs, peu importe l'âge ou l'expérience.» David Aebischer a parfaitement su saisir la sienne: il est devenu incontournable dans l'effectif des Lakers ces deux dernières saisons, au point de disputer tous les 52 matchs de l'exercice écoulé.
Si Stefan Hedlund a d'excellentes dispositions pour gérer un groupe, il se débrouille aussi plutôt bien tactiquement. Même si ses débuts ont été quelque peu chaotiques. «Le style et la philosophie de jeu à la scandinave changeaient complètement de son prédécesseur Jeff Tomlinson», rembobine Igor Jelovac, qui a évolué sous les ordres du Canadien et du Suédois. «Les premiers matchs, on était perdu sur la glace et on alignait les défaites.» Mais la mayonnaise a fini par prendre.
Au fait, c'est quoi ce style de jeu scandinave que «Rappi» applique? «L'idée, c'est d'avoir le plus possible la possession du puck», explique David Aebischer. Niveau positionnement, les joueurs sont très proches les uns des autres, même quand c'est l'adversaire qui a la rondelle. Le Fribourgeois des Lakers précise:
Les fans de foot voient peut-être des similarités avec le style très typé d'une célèbre équipe. Klaus Zaugg, l'expert hockey sur glace de watson, les a déjà remarquées.
Au bout du fil, David Aebsicher valide la comparaison. On est donc bien loin du style nord-américain appliqué sous le prédécesseur de Stefan Hedlund, Jeff Tomlinson, où les hockeyeurs vont gratter contre les bandes un puck lancé depuis le fond de la patinoire, un bon vieux kick and rush pour rester dans l'analogie footballistique.
Pour maîtriser ce système scandinave si complexe et exigeant techniquement, encore faut-il avoir les joueurs capables de le faire. «Rappi» a de la chance, il les possède: il compte dans ses rangs les artificiers Roman Cervenka (meilleur compteur de la ligue) et Tyler Moy (4e compteur) et a la deuxième meilleure attaque du championnat (derrière Genève-Servette) ainsi que la troisième défense. Excusez du peu!
«Et il ne faut pas oublier le gardien Melvin Nyffeler, qui a progressé en même temps que l'équipe et qui est désormais l'un des tout bons portiers de la ligue», fait remarquer Klaus Zaugg. Statistiquement, c'est même celui qui encaisse le moins de buts (2,28 par match en moyenne) derrière le leader de ce classement, le Zurichois Simon Hrubec. «Pouvoir compter sur un bon gardien, c'est déjà 50% du job fait», s'avance Klaus Zaugg.
Le journaliste bernois fait l'éloge de la gestion des dirigeants saint-gallois. «Quand le club a été relégué en 2015, ils n'ont pas perdu les pédales et ils en ont profité pour repartir de zéro», rappelle-t-il. Ils ont alors donné les clés de la première équipe à Jeff Tomlinson, avec lequel les Lakers ont fêté leur retour dans l'élite en 2018, après deux tentatives ratées. Klaus Zaugg enchaîne:
L'expert voit encore un autre tournant dans cette impressionnante montée en puissance des Saint-Gallois: l'arrivée en été 2019 du directeur sportif, Janick Steinmann (36 ans), ancien joueur de LNA. «Il connaît très bien le hockey suisse, et notamment les jeunes joueurs», félicite Klaus Zaugg. «Il a par exemple fait venir Hedlund en toute connaissance de cause: il a été l'assistant du Suédois quand celui-ci coachait Zoug Academy lors de la saison 2017-2018.»
Et quand on connaît l'importance d'une bonne relation entre un entraîneur et un directeur sportif, on ne peut que penser que cette proximité entre les deux hommes est un gros avantage pour les Lakers. «Et Janick Steinmann est aussi sensible à la personnalité des joueurs qu'il engage. Il veut qu'ils se fondent dans le groupe et partagent des valeurs telles que le goût du travail et l'humilité», ajoute David Aebischer.
Humbles, les Saint-Gallois l'ont été quand ils ont fixé leur objectif en début de saison: une place dans les dix premiers. Et ce malgré une légère hausse de budget (+500 000 francs pour atteindre 12 millions) et une forte hausse des spectateurs (+20% d'abonnements par rapport à la saison dernière).
Même s'il avoue que l'idée du titre ne circule pas encore dans le vestiaire, David Aebischer se dit impatient de commencer les play-offs. Le Fribourgeois et ses coéquipiers ont en tout cas de quoi regarder le champion en titre, Zoug, les yeux dans les yeux. Et ceux qui ne veulent toujours pas prendre «Rappi» au sérieux n'auront qu'à traverser la route et marcher les 200 mètres entre la patinoire et le QG du Knie.