Porrentruy est le Disneyland du hockey romand et un paradis pour les vrais romantiques de ce sport. Le charme de la langue de Voltaire. L'accueil chaleureux. Un paysage qui n’est pas sans rappeler «Le Seigneur des Anneaux». Le seul public au monde qui soutient toujours son équipe et jamais (jamais!) ne la siffle. On dirait le bout du monde et pourtant, depuis ici, Paris est plus proche en train que Davos - et Bâle n'est pas loin non plus.
Les joueurs professionnels que le destin catapulte en Ajoie pleurent deux fois. La première parce qu'ils se croient punis, bannis, expédiés au bout du monde. La seconde lorsqu'ils ont succombé au charme du Jura et qu'ils doivent en repartir le cœur lourd.
Le HC Ajoie évolue dans l'élite et vit dans un endroit aussi isolé que le village gaulois d'Astérix sous l'Empire romain. Les affaires économiques et politiques dans le village sont bien gérées, les infrastructures sont excellentes, mais l'argent manque. Même deux millions de plus ne feraient pas d'Ajoie une équipe de play-off. Il était plus facile pour Astérix de conquérir Rome que pour le nouvel entraîneur Christian Wohlwend de quitter la dernière place.
Ajoie était, est et reste «l'équipe qui n'a aucune chance», le club des vrais romantiques du hockey, et comme il sied aux romantiques, Ajoie rend hommage au charme de l'offensive même avec des moyens techniques inférieurs, principalement avec du mordant, et utilise quatre attaquants étrangers. Bien sûr, tous des Canadiens francophones.
Il est donc naturel que le nouvel entraîneur Christian Wohlwend soit un citoyen de l'Engadine, mais qu'il soit né à Montréal, la capitale mondiale du hockey francophone.
Nous n'avons aucune chance, alors nous la saisissons: seul un entraîneur avec cette tournure d'esprit peut faire avancer le HC Ajoie. Un entraîneur comme Christian Wohlwend, qui n’avait aucune chance à Davos en tant que successeur de l’entraîneur cultissime Arno Del Curto et qui a pourtant su s'imposer pendant près de quatre ans, jusqu’en janvier 2023.
Eloigner Ajoie de la dernière place est un défi au moins aussi grand que de conduire le SCB, Davos ou les ZSC Lions au titre de champion suisse. Un entraîneur ordinaire prêt aux compromis est voué à l’échec. Il faut un patron clivant comme Christian Wohlwend. S'il était Canadien, son tempérament lui vaudrait un statut d'homme à poigne. Puisqu’il est Suisse, on le dit caractériel.
Avec son attitude franche, émotive et parfois bizarre, il est un «coach desperado» dans «l'équipe desperado» du HC Ajoie. Le fait qu'il ne soit pas issu de la culture francophone du hockey ne doit pas être un inconvénient: il est largement à l'abri des intrigues et n'est même pas tenté d'améliorer son sens politique.
Petteri Nummelin reste pour une deuxième saison et il est désormais l'assistant idéal de Christian Wohlwend. Il a également contribué au miracle de la médaille de bronze des Lettons et sait ce qui motive les outsiders. Christian Wohlwend et Petteri Nummelin ne pourront pas inoculer du talent à leurs joueurs, mais ils peuvent leur donner un coup de pouce, éveiller leur foi en l'impossible, exacerber les passions et mettre en place la bonne tactique.
Christian Wohlwend se retrouve exactement dans la même situation qu'autrefois comme entraîneur national U20: la différence entre Ajoie et le reste de la ligue est aussi importante qu'entre les Suisses et les grandes nations du hockey dans un Mondial des moins de 20 ans, et Christian Wohlwend a toujours réussi à maintenir la Nati dans l'élite. Est-ce le destin qui l'a-t-il conduit en Ajoie? C'est tout à fait possible. Mais celui qui occupe le bas du classement doit aussi s’attendre à l’échec et au licenciement. Même s’il est le coach parfait pour ce défi.
La 14e et dernière place d'Ajoie est à peu près le pronostic le plus sûr que l'on puisse formuler pour la nouvelle saison. On peut le tourner comme on veut, rien ne laisse présager qu'Ajoie perdra cette place pour sa troisième année dans l'élite. L'argent n'est pas tout: il n'y a tout simplement pas assez de joueurs sur le marché pour alimenter 14 équipes compétitives.
Et pourtant, sans progresser au classement, Ajoie peut devenir l'équipe surprise de la saison. Au printemps dernier, l'écart avec la 12e place était de 16 points. Selon nous, Ajoie va réduire considérablement cet écart avec Christian Wohlwend et l'espoir d'une 13, voire 12e place, perdurera jusqu'aux vacances de Noël.