Au CP Berne, l'éléphant dans la pièce, c'est la patinoire. Tout le monde est au courant du problème. Mais personne n'en parle publiquement.
Avec ses 17 031 places, la PostFinance Arena est la plus grande arène de hockey en dehors de l'Amérique du Nord. La raison d'être du club. Sa rampe de 12 000 places debout – le fameux «mur» – est un élément central du mythe du CP Berne, de l'ADN des Ours: nous avons le mur, donc nous sommes.
Les Bernoises et les Bernois désignent leur patinoire par le terme «Tämpu» (le temple), exprimant ainsi le fait qu'assister à un match du CP Berne est une expérience particulière. Un mélange de tradition, de nostalgie et d'émotions. Une grande messe du hockey sur glace. C'est le 22 octobre 1967 que l'arène est inaugurée, sous l'appellation «Eisstadion Allmend». Elle est encore en plein air. Trois ans plus tard, elle est recouverte d'un toit.
A partir des années 1990, des investissements annuels de l'ordre de 250 000 francs sont nécessaires pour l'entretien et la rénovation du «temple». En 2004, le verdict tombe: la patinoire a besoin d'un lifting complet. Notamment pour répondre aux normes de sécurité et d'installations sanitaires ainsi que pour développer la restauration et les loges VIP. Mais les coûts sont trop élevés pour la ville. Des investisseurs privés doivent prendre le relais.
Peu avant Pâques 2007, l'entreprise Real Estate AG achète l'enceinte à la ville et garantit l'achèvement de la rénovation – 100 millions de francs au total – pour le Mondial 2009.
Entre-temps, la patinoire est passée aux mains de Swiss Prime Site AG, une des principales sociétés d'investissement immobilier de Suisse. Elle est encore propriétaire de la PostFinance Arena aujourd'hui, et c'est à elle que le CP Berne loue – indirectement – les locaux. Bien que locataire, le club gère la restauration, la publicité et peut organiser des manifestations (boxe, patinage artistique, escalade, concerts, etc.). Grâce à leur patinoire, les Ours – détenus par Marc Lüthi (62 ans) et quelques collaborateurs – réalisent un chiffre d'affaires annuel de 60 millions de francs suisses.
Un montant alléchant. Mais voilà, la PostFinance Arena est devenue un dinosaure. Gigantesque et puissant, certes, mais de plus en plus hors du temps et non viable à moyen terme. En fait, le «temple» devrait être classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Pour sa riche histoire, mais aussi parce qu'il reflète les conditions sociales et économiques de l'Ancien Régime bernois, pourtant renversé par Napoléon en 1798. Un vrai musée.
D'un côté, 24 loges VIP et leurs 1200 places pour la noblesse, qui font toujours partie des meilleures de la ligue. A l'étage inférieur, les 6000 sièges pour les fans de hockey de la classe moyenne. Et, en face des loges VIP, l'immense mur avec plus de 10 000 places debout «bon marché» pour le prolétariat du hockey. Autrement dit: un tableau de l'ancienne et puissante Berne, avec ses différentes classes sociales.
Mais le mythe s'effrite. Le taux de remplissage de la PostFinance Arena est passé de 95,65% lors de la saison du dernier titre (2018/19) à 88,21% aujourd'hui. De 16 687 à 15 023 spectateurs en moyenne par match. Ces 1500 billets vendus en moins par rencontre (26 parties à domicile en saison régulière) devraient coûter jusqu'à quatre millions au CP Berne. Car non seulement les places sont vides, mais il manque aussi 1500 gosiers assoiffés et estomacs affamés par match. C'est simple: les Ours ne sont désormais plus obligés de bloquer la vente d'abonnements à 13 000, comme ils le faisaient à l'époque pour laisser un peu de stock de billets aux caisses à chaque rencontre.
Cette baisse est liée à l'absence de succès sportif, mais aussi au manque de confort de la PostFinance Arena. Une nouvelle rénovation totale ou, mieux encore, une nouvelle arène est nécessaire. Et Marc Lüthi, le CEO et co-propriétaire du CP Berne, est déjà sur le coup:
Et ce projet alors, c'est quoi exactement? «Je ne peux pas en dire plus», esquive le boss bernois. La raison de ce silence est logique: toute cette affaire est très délicate. Sur le plan économique et politique.
Une rénovation totale ou une nouvelle construction coûterait entre 100 et 150 millions. Il en découle un tas de questions: qui financerait le projet? Peut-on continuer à jouer dans la PostFinance Arena pendant les travaux? Trouvera-t-on à nouveau des investisseurs privés? Etc.
A cela s'ajoute un sujet qui n'est certes pas existentiel sur le plan économique, mais qui touche à l'ADN du club: qu'adviendra-t-il du fameux mur, la plus grande tribune pour places debout de toute la planète? Elle est le cœur visuel de l'arène. Et à Berne, le simple fait de se demander si cette rampe est encore d'actualité relève de l'hérésie. Marc Lüthi a déjà déclaré que tant qu'il aurait quelque chose à dire, le mur resterait. Il tiendra sa parole. Mais il n'a jamais précisé quelle serait la taille de cette rampe.
Les recettes des places debout ne représentent plus que 20% des ventes de billets. 40% proviennent des places assises et les 40% restants des loges VIP.
Et les recettes des billets représentent moins de 50% des revenus totaux du club.
Le produit par place assise (billet et consommation) est considérablement plus élevé que celui des places debout.
Le calendrier pour ce projet de nouvelle patinoire, dont le chantier doit démarrer d'ici 2030, est très, très, très ambitieux. Qu'il s'agisse d'une rénovation ou d'une nouvelle arène. A Zurich, il a fallu 14 ans et 6 mois entre le coup d'envoi et l'inauguration de l'enceinte. Avec un financement par des investisseurs privés et sans oppositions. Or, à Berne, les démarches sont généralement plus lentes que sur les bords de la Limmat.
En connaissant l'histoire de la PostFinance Arena et les sensibilités qui y sont liées, on comprend pourquoi Marc Lüthi ne veut pas encore de discussions publiques, et encore moins de polémiques, autour de son projet. Le boss des Ours va au devant de son plus gros défi depuis qu'il a pris la tête du club en 1998.
Adaptation en français: Yoann Graber