lls commencent généralement par prendre un air exaspéré et par rejeter les éloges dont on les éclabousse. Ils ont inscrit un triplé, mais qu'importe. «L’important, c’est l’équipe.» Et la rose. Et le chemin. Et ta soeur. Ou les trois points, pour ceux qui savent compter - sur les autres.
Ils n'ont pas eu le brassard de capitaine qu'ils espéraient depuis longtemps, depuis l'âge des chat-bites entre potes et des premières stories TikTok, mais «c'est pas grave», Kyky le mérite aussi. Et l'important, c'est de tout donner. Ou de ne rien lâcher- selon que l'on ait du coeur ou de la poigne.
C'est faux et tout le monde le sait. Si l'équipe était tellement importante, des attaquants en mal de réussite buts ne jubileraient pas comme des belettes cocaïnées quand ils réduisent le score à 4-1. Ils cacheraient leur joie derrière un puissant regard caillera pour mieux porter le deuil des trois points perdus dans ce périlleux déplacement, dans les tragiques circonstances d'une défense fragile et d'un entraîneur sénile - toujours les mêmes.
Et si c'était vrai, si l'important c'était l'équipe, le Ballon d’or ne reviendrait pas rituellement à des individualités hors pair (car qu'auraient été Ronaldo sans Modric, Messi sans Iniesta, Platini sans Boniek?), à des monstres d’égoïsme dont on admet volontiers qu’ils sont singuliers, voire uniques, mais dont on n'est pas obligé de boire les paroles sirupeuses sur la primauté de l’intérêt commun face aux avidités éventuelles de leur misérable personne.
Drôle d'époque - mais peut-on rire de tout, comme dirait un altruiste désabusé de notre connaissance. Plus un joueur exerce une domination sans partage, plus il se prend pour Mère Teresa: il va continuer de «tout donner», c'est le plus important.
Plus le football produit des statistiques individuelles, plus il fait la promotion du collectif et du don de soi. Ce football-là est comme le film «L’Amant»: on fait l'éloge du livre de Marguerite Duras et de sa sublime adaptation au cinéma, mais on ne retient que les scènes de sexe.
Dans la même veine, et pour l'appliquer à nos professions de tous les jours, nous avons imaginé ce que pourrait être une interview de notre collègue Julien Caloz, auteur d'une superbe performance la semaine dernière avec son article «Un produit typiquement suisse crée le malaise dans "l'Amour est dans le pré"».
- Vous avez affolé les statistiques avec plus de 76 000 pages vues. Votre réaction.
- Je ne me préoccupe pas de mes statistiques personnelles. L'important, c'est la rédaction. On est une jeune équipe qui progresse et qui écrit avec l'épée de Damoclès entre les dents.
- Votre performance est quand même de bon augure avant les Jeux olympiques de Paris.
- Je ne regarde pas aussi loin. Tout va très vite dans le journalisme: il faut prendre article après article.
- Ce passage à la rubrique divertissement s'est pourtant avéré probant. Surpris?
- J'ai démontré par le passé que je pouvais rendre service à l'équipe et occuper plusieurs postes. J'écris là où le rédacteur en chef me dit.
- Des rumeurs vous annoncent à Blick. Un commentaire?
- Je ne commente pas les rumeurs. Je préfère rester concentré sur ma rédaction et laisser mon frère évaluer les différentes opportunités qui pourraient se présenter à moi dans un avenir plus ou moins proche.