J’étais pour la France et pourtant je suis à peu près heureux pour l’Argentine. A peu près, car j’aurais préféré que le drame vécu hier tourne en faveur des Français pour l’édification de la légende Mbappé. Il manque un trophée pour la rendre immédiatement céleste. Santo differito. Tant mieux pour Messi, santo tardivo.
Donc à peu près heureux, et non pas dégouté de la victoire des Argentins, parce que, précisément, les adversaires de la France, dans cette finale qui fut leur et devint d'anthologie à compter de la 80e minute, c’étaient eux. Tellement plus que n’importe quelle Allemagne et même que la dernière Angleterre, que j’aime pourtant, parce qu’elle est courageuse, sur un terrain de football comme sur un champ de bataille.
Si on n’aime pas Naples, on n’aime pas l’Argentine – aimer, rassurez-vous, c’est aimer de loin. J’ai toujours été plus Platini que Maradona, plus Italien taiseux que rital expansif, mais j’ai pour Naples et pour Maradona qui fut sa Madone transgenre, les yeux de l’envie et du frisson. Ce qu'on pense ne pas être, on l’aime, comme on craque la première fois qu’on voit Naples, qu’on entend son parler de tourterelle, qu’on y hume ses pizzas, qu’on croit avoir tout compris à son tempo dans un refrain de Gigi D’Alessio. A vrai dire, si j'ai vu Naples, je n'ai rien vu de l’Argentine, c’est uniquement du fantasme, de la projection.
Ensuite, si la misère est moins pénible au soleil (Aznavour a échappé à l’ère de la métaphore autorisée), le mauvais goût aussi. Blonde décolorée en legging, papy argenté en pantacourt: tout ça passe mieux à Rosario (le quartier de Messi) que dans le canton de Vaud (et encore, on le tolère).
Le tableau naît du contraste: d’une part, le raffinement des cafés de centres-villes, l'effluve des journaux du matin, de l'autre, la dureté des zones urbaines mixtes. La violence est là, toujours vulgaire. Martinez pointant son trophée de meilleur gardien du tournoi comme un Gesù Bambino chipé à la chiesa du coin, c’est voir la série «Gomorra» une deuxième fois. Alors, ça plaît ou ça plaît pas. A moi, ça plaît. Parce que c’est l’excès. Parce que c’est vivant. C’était vraiment une belle finale.