On a dit, pas le physique. On a dit, pas les mamans. On a dit, pas les pays. Trop tard. On va parler de la France. Des Frouzes. Tous les deux ans, au rythme des Mondiaux et Euros du ballon rond, ils font leur retour au café du commerce romand. Du quai de gare au vestiaire d’usine en passant par les terrasses, le sujet de conversation vient tout seul.
C’est généralement très bref. Bien plus court que l'annonce du retard d'un train en trois langues. Court comment? Comme deux soupirs, mon ami: «Ces Frouzes…», «J’te jure…» – le sous-entendu a ceci de pratique qu’il permet de se mettre d’accord sans avoir à taper la discute.
Mais les Frouzes, ça sous-entend quoi, au juste? Ben tu sais bien. Oui, je sais bien, mais quoi? Ben tu sais bien… Voilà: on sait. Ça veut dire 5-2 dans ta face en 2014 au Brésil, chouchou. Tu l’as oubliée, celle-là? Et le 4-0 de 77, tu t’en rappelles? Et le ...-... du 28 juin à Bucarest, le 28 juin qui vient? Vous le voyez venir? C’est sûr, faut reconnaître, y sont bons, ces Frouzes. N’empêche que, n’empêche que…
Les Frouzes, sans rien avec, ça déboule tout seul sur le tapis. La vérité, elle, a plus de mal à sortir. Peut-être parce qu'elle en dit plus sur nous les Suisses que sur eux les Français. Eux, vite vu, c’est des grandes gueules. Nous, non. Vite vu aussi. Les Frouzes (séquence énumération): c’est la vie qu’on n’a pas, la mer qu’on voit pas, le TGV et le Rafale qu’on fait pas. Et c’est pas plus mal comme ça (qu'on ajoute). Quand on voit dans quelle mouise ils sont (qu'on se rassure). Nous, on a la sécurité et l’emploi. Les frontaliers sont bien contents.
Les Frouzes. Et si on passait un tour? Je sais pas vous, mais moi, j’en ai peu vu, du Frouze, sur les réseaux. Ça peut changer, se réveiller avec le France-Allemagne, faire irruption avec le France-Suisse qui commence à chauffer fort. Mais, pour l’instant, le Frouze, le mot, fait pour dénigrer, est rare. Qui sait? Quelque chose a peut-être changé. Le t-shirt chambreur de mon ami dessinateur Christophe («Je soutiens l’équipe suisse et toute autre qui battra la France») avait fait le buzz en 2014 (oui, oui, la fois du 5-2…). Cette année-là, les drapeaux français n’étaient pas les bien vus aux balcons et dans les fanzones de Genève et Lausanne. Même que deux ans plus tard, la journaliste Marie Maurisse dénonçait dans un livre, je cite, le «racisme anti-français en Suisse romande». L’heure était grave.
Est-elle plus légère aujourd’hui? On le dirait bien. Une fraternité d’après-Covid? C’est possible. Et puis, on ne sait jamais, un peu d’admiration, du respect, même, pour cette équipe de France alignant la plus belle attaque du monde avec Griezmann, Mbappé et Benzema.
La lourdeur et l’aigreur, en 2021, seraient plutôt située en France. Chez des Français. Qui n’aiment pas leur équipe. Et le font savoir avec le hashtag #BoycottEquipeDeFrance, en top-tweet sur Twitter France mardi 15 juin. Ils ne l’aiment pas parce qu’ils la trouvent trop basanée. Parce qu'ils ne veulent pas qu'elle mette un genou à terre en solidarité avec Black Lives Matter (un geste qu'elle ne finalement pas fait en ouverture du match, gagné, face à l'Allemagne). Parce qu’ils ne digèrent pas le retour de Benzema, entre-temps auteur d'un doublé face au Portugal.
La France, depuis toujours c'est la mixité et dans le football français c'est ce qu'il nous a donné 2 etoiles ⭐⭐. Tous les joueurs français ont des origines nous aussi on en a , mais on se sent tous français pour encourager notre beau pays #BoycottEquipeDeFrance * pic.twitter.com/A0wueIKBcZ
— A.F FOOTBALL ⚽️🤩 (@1stantrapfr) June 15, 2021
Le french-bashing des supporters romands, c’était pas cool, c’était beauf, mais on savait que ça retomberait (enfin, pas toujours) la compétition terminée. Là, cet appel au boycott, c'est moche, c'est triste. Alors, soutenons-les. Soyons, nous Romands, cette frange de supporters qui manque aux Bleus! Là, vous vous demandez si je ne pousse pas le bouchon un peu loin. Parce que maintenant, c'est chacun pour soi. Hein dit les p'tits Suisses! T'as g... le Frouze.