Selon ses propres mots, Valentin Danzi est en train de vivre un «truc de fou». Ce Fribourgeois de 40 ans s'est retrouvé propulsé entraîneur des gardiens de la sélection de la République centrafricaine pour quelques jours. Un poste qu'il a occupé plusieurs années avec les jeunes talents de son canton au Team AFF puis jusqu'à la fin de la saison écoulée au FC Bulle, en troisième division.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que Valentin Danzi – journaliste sportif à Radio Fribourg pour son activité principale – s'apprête à vivre des émotions fortes. Jeudi, si elle gagne au Ghana, la Centrafrique se qualifiera pour la première fois de son histoire pour la Coupe d'Afrique des Nations (CAN), qui aura lieu entre janvier et février 2024 en Côte d'Ivoire. Le Fribourgeois, qui sera sur le banc du stade de Kumasi (40 000 places), nous raconte sa folle aventure.
Vous êtes arrivé samedi au Ghana pour rejoindre la sélection centrafricaine. Comment ça se passe jusqu'à présent?
VALENTIN DANZI: J'ai été très bien accueilli, tant par les joueurs que par le staff. Dans celui-ci, il y a une ambiance très familiale. Il est composé à la fois de Centrafricains, de Suisses ainsi que d'un entraîneur-assistant camerounais. C'est un mélange de cultures. On a vraiment l'impression de voir une bande de copains qui se retrouvent lors de quelques rassemblements par année.
Et qu'est-ce que vous ressentez chez les joueurs avant cette grosse échéance?
Je sens une grande excitation, une envie gigantesque de disputer ce match. Il y a aussi une grande fierté de porter le maillot national. Je suis convaincu que les joueurs vont tout donner sur le terrain. Mais le gros point d'interrogation, c'est de savoir comment ils vont gérer ce moment psychologiquement. Ils devront être capables de se libérer de l'enjeu et éviter la crispation. Parce que c'est une équipe très jeune, qui a 21,5 ans de moyenne d'âge.
Au contraire du Ghana, qui compte des stars et a disputé de nombreuses compétitions internationales, dont la dernière Coupe du monde.
Oui, le Ghana est favori. C'est un grand pays de foot en Afrique, alors que nous, on est une petite sélection. Mais les joueurs centrafricains dégagent une fraîcheur qui est magique à voir. Pendant les petits jeux aux entraînements, on a l'impression de voir des gamins. Certains vivent dans des conditions difficiles en Centrafrique, alors pour eux c'est formidable de pouvoir jouer au foot avec leur sélection, d'autant plus pour un match si important.
Quelle relation avez-vous avec les joueurs?
Ils ont une faim d'apprendre impressionnante et sont extrêmement à l'écoute, même les pros. Des fois, j'ai envie de leur dire: «Ecoutez moins, faites-vous plaisir!» (rires) C'est mon premier et normalement seul stage avec la sélection, mais dès mes premières consignes, ils les ont appliquées. Les joueurs se fichent du CV de l'entraîneur, le respect pour le coach reste le même. Ils ne te prennent absolument pas de haut.
Les joueurs savent que c'est uniquement grâce au collectif qu'ils peuvent se qualifier, et c'est d'autant plus vrai en l'absence du capitaine habituel Geoffrey Kondogbia, blessé, qui joue à l'Olympique de Marseille.
Vous n'aviez aucun lien avec la Centrafrique, uniquement des expériences dans le foot amateur. Comment vous êtes-vous retrouvé catapulté à ce poste?
Je connaissais le préparateur physique de la sélection, le Fribourgeois Patrice Sugnaux, avec qui j'ai collaboré au Team AFF et au FC Bulle. Quand le sélectionneur Raoul Savoy (réd: un Vaudois) a dit qu'il cherchait un entraîneur des gardiens, Patrice lui a glissé mon nom.
Et la suite?
Patrice m'a écrit sur WhatsApp, j'ai dit que j'étais très intéressé et on s'est rencontré Raoul, lui et moi à mon domicile de Bulle, où Raoul m'a donné des détails. Il y a tout de suite eu du feeling, et la grande expérience de Raoul dans le foot africain m'a convaincu. Je n'ai jamais pensé pouvoir vivre une aventure pareille. Je ne connaissais rien de ce pays, alors je suis tout de suite allé chercher quelques infos sur Google. Je me réjouissais et là, depuis quelques jours, c'est un truc de fou!
Et justement, comment éviter que ce match ne devienne un cauchemar?
C'est vraiment comme une rencontre de Coupe de Suisse: le petit face au grand. Si on veut avoir une chance, on doit éviter de prendre un but dans les 20 premières minutes, histoire de les faire douter. Et si on marque en premier, alors beaucoup de choses deviennent possibles: le Ghana, qui a besoin d'un nul pour se qualifier, se découvrirait. Par contre, si on perd 3-0 après 20 minutes, on pourra déjà rentrer à la maison et espérer au mieux éviter une claque.
Pour le Ghana, c'est aussi un match décisif. Comment est l'ambiance sur place?
On sent que c'est un pays de passionnés de foot. Dans les rues, quasiment une personne sur deux porte un maillot, surtout ceux des grands clubs européens comme le PSG, le Real ou l'AC Milan.
A nos entraînements à Accra, environ 250 personnes sont venues au bord du terrain, mais dans un état d'esprit amical, par curiosité. On a échangé avec des jeunes footballeurs locaux, qui nous ont demandé des t-shirts ou des gants.
Concrètement, quel est le niveau de la sélection centrafricaine?
Dans chaque équipe nationale, il y a des différences de niveau entre les joueurs, mais c'est encore plus vrai avec la Centrafrique. Kondogbia joue à Marseille, mais on a aussi six éléments qui évoluent dans le championnat national. Le niveau de celui-ci équivaut à peu près à une 1ère ligue en Suisse (réd: quatrième division).
🎥 VIDEO 👇🏾 🇬🇭 Pitch and Stadium preparation almost done at the Baba Yara Sports Stadium in Kumasi ahead of Ghana Black Stars vs Central African Republic this Thursday. pic.twitter.com/QOGUmpCLc0
— Martin Koduah Jnr (@martinlutajnr) September 5, 2023
Et les gardiens?
L'habituel titulaire Dominique Youfeigane, gardien remplaçant de Lorient, est suspendu. On a donc dû rappeler Geoffrey Lembet, qui est le troisième gardien au Stade Rennais. Il n'avait plus joué en sélection depuis 2019. Il a 34 ans, son expérience et sa maturité font beaucoup de bien à l'équipe. C'est lui qui sera titulaire jeudi. Sa doublure sera un jeune portier de 20 ans, qui évolue en Centrafrique. Avec lui, il faut encore travailler la technique, alors qu'avec Lembet, on a axé sur des phases de jeu et les coups de pied arrêtés en fonction de l'adversaire.
Entraîner en Afrique ou en Europe, ça change beaucoup?
Sur certains points, oui. Par exemple, on avait un entraînement fixé lundi matin. Mais on a appris seulement le dimanche soir que le terrain ne serait finalement pas disponible. Allez dire ça à Murat Yakin quand il est en stage avec la Nati! Du coup, tu dois trouver autre chose à faire, comme des exercices de coordination dans le parc de l'hôtel. En Afrique, tu t'adaptes, tu trouves toujours une solution. La devise du staff de la Centrafrique, c'est: «Toujours faire au mieux avec ce qu'on a.»