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Gymnastique: les confidences de Giulia Steingruber

Interview

«J'ai été engagée comme coach et je suis devenue livreuse de pizzas»

Giulia Steingruber, référence suisse de la gymnastique.
Giulia Steingruber, référence suisse de la gymnastique.
Giulia Steingruber est la gymnaste la plus titrée de Suisse. Elle raconte les scandales de Macolin, son talent inné pour cacher ses sentiments et comment sa première reconversion a mal tourné. Entretien sans concession.
21.08.2023, 19:0021.08.2023, 22:12
Étienne Wuillemin
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Récemment, Simone Biles a fait son retour à la compétition. Et vous, c'est pour quand?
Giulia Steingruber: Malheureusement, ce n'est pas au programme (rires). Je suis entrée dans mon nouveau monde et j'en suis contente.

Voilà un peu plus de deux ans que vous vous êtes retirée. Quand avez-vous compris pour la première fois que vous en aviez assez du sport de haut niveau?
J'ai toujours pensé qu'après les Jeux de Tokyo, ce serait fini pour moi. Je le pensais déjà avant que les JO ne soient reportés d'un an à cause du Covid. A ce moment-là, c'était clair: j'avais tellement lutté pour soigner une blessure à un genou que je voulais me donner cette année supplémentaire. Mais c'était extrêmement dur, y compris physiquement. Après les Jeux, en 2021, les derniers doutes se sont dissipés: j'en avais assez.

Vous avez pris votre retraite début octobre 2021. Avez-vous eu besoin de temps pour réaliser?
C'est maintenant que ça se complique un peu...

L'ancienne gymnaste Giulia Steingruber en conversation avec Etienne Wuillemin.
L'ancienne gymnaste Giulia Steingruber en conversation avec Etienne Wuillemin.Sandra Ardizzone

Expliquez nous.
Je savais déjà pendant mes vacances post-JO que je ne retournerai pas à l'entraînement. J'étais physiquement et mentalement K. O. Je voulais aussi vivre un peu parce que, jusqu'ici, je n'avais eu que deux semaines de vacances par an. Mais ensuite, le chaos à Macolin a commencé (réd: révélations de harcèlement et de maltraitance sur de nombreuses jeunes athlètes). Les entraîneurs ont été licenciés; et il n'y avait pas de plan B. Alors j'ai voulu aider.

Comment?
L'entraînement devait continuer d'une manière ou d'une autre. En plus, les Championnats du monde approchaient, et de nombreux gymnastes voulaient y participer. J'ai dit à la Fédération que je serais heureuse de donner un coup de main. Après tout, j'avais déjà commencé une formation de coach et je m'y connaissais un peu en gymnastique. La seule condition: j'ai dit que je ne voulais pas être responsable de l'assurage des gymnastes. Je n'ai jamais fait ça et je ne le peux pas non plus. Et donc, que s'est-il passé? Peu de temps après, je me suis retrouvée seule avec 13 gymnastes dans la salle.

Sans soutien?
Tout était un peu confus et chaotique. Mais l'histoire ne s'arrête pas là...

Continuez!
À la mi-octobre 2021, la Gymnastics Association a embauché un duo d'entraîneurs américain, Anthony Retrosi et Wendy Martin, et m'a proposée une intégration permanente dans l'équipe d'entraîneurs. Je voulais saisir cette opportunité. J'ai pensé que c'était une super offre. Je savais que je pouvais officier en tant que coach et apprendre beaucoup. Malheureusement, cela n'a pas marché.

Pourquoi?
D'une certaine façon, je ne réalisais même pas que j'avais mis fin à ma carrière d'athlète. Physiquement, oui. Mais j'étais dans la salle à 8 heures du matin et j'avais une pause déjeuner en même temps que les autres gymnastes. Ma vie quotidienne était exactement comme avant. Je ne voulais plus faire ça. En plus, j'avais un autre mandat ailleurs et je travaillais dans un bar deux soirs par semaine. C'était trop pour moi. Et aussi, je ne me sentais plus particulièrement la bienvenue à Macolin.

Ah oui?
Les nouveaux entraîneurs ne savaient pas trop comment m'intégrer dans le travail. Je me suis demandée: mon rôle n'a-t-il pas été clarifié avec la Fédération? J'avais une sensation bizarre. Je vous raconte deux anecdotes.

«Un matin, on m'a appelée pour me demander d'enlever les décorations de Noël avec un athlète blessé. Désolé, j'ai dû dire que je n'étais pas là pour ça!»
«Ils ont organisé une fête d'équipe mais je l'ai appris par hasard, je me suis sentie un peu bête. Mais quand je l'ai su, ils m'ont demandé d'aller livrer les pizzas en ville»

J'ai compris que l'environnement de Macolin n'est plus bon pour moi. J'ai prévenu la Fédération et j'ai arrêté immédiatement. Cela a été extrêmement bénéfique.

A quoi ressemble votre nouveau monde?
Je travaille pour une agence de marketing à Bienne. Plus spécifiquement, nous aidons les villes hôtes en Allemagne à mettre en place des fans zones de l'Euro 2024. Football Village, écran géant, des choses comme ça. Avec un collègue, je suis responsable des partenaires commerciaux.

Vous dites en gros à un sponsor: «Voilà ton emplacement, trois mètres sur cinq, tu peux installer ton stand ici»?
Exactement. C'est même un peu plus de trois mètres sur cinq. Mais sinon, tout est juste. Au sein de notre staff international, j'ai la chance de faire partie des collaborateurs qui parlent l'allemand. En matière de règles strictes, les Allemands se sentent plus à l'aise dans leur langue...

Giulia Steingruber
Née le 24 mars 1994 à Gossau, elle découvre la gymnastique à l'âge de 7 ans avant de devenir la Suissesse la plus titrée de l'histoire. Elle remporte le bronze au cheval d'arçon aux Jeux olympiques 2016 et aux Championnats du monde 2017. Elle est également six fois championne d'Europe.

Comment avez-vous eu ce travail?
À la fin de ma carrière de gymnaste, j'ai commencé à étudier la gestion en marketing. J'ai aussi travaillé dans un bar pendant un certain temps. Il appartenait au partenaire commercial de mon patron actuel. Un coup de chance, pour ainsi dire.

Au moins, vous n'avez pas l'air de vous ennuyer.
Je n'arrête pas de constater que des tas de gens imaginent le contraire. Ils pensent que je ne fais rien, que j'ai beaucoup de temps pour tout, mais ce n'est pas le cas. Même si ma carrière de gymnaste a été belle et réussie, je suis obligée de travailler.

Vous allez bientôt avoir 30 ans et vous avez désormais une première carrière professionnelle derrière vous. Avez-vous parfois l'impression d'avoir raté quelque chose?
Je ne regrette rien. J'entame maintenant ma deuxième carrière et le plus important, c'est que j'ai trouvé quelque chose que j'aime vraiment. J'en suis super contente. Parce que pendant longtemps, je n'ai pas su où j'étais bonne à part dans le sport. Parce qu'aussi, j'ai besoin de m'imposer certaines exigences et j'ai pris conscience que ça ne changera probablement jamais.

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Giulia Steingruber dans sa spécialité, le saut de cheval.Keystone

Tirez-vous des avantages de votre passé d'athlète dans votre travail quotidien?
Que voulez-vous dire?

L'organisation, la discipline, la volonté, l'ambition, la gestion des échecs, la communication. Vous avez des années d'expérience dans ces domaines.
C'est tout à fait possible. Ce qui me vient spontanément à l'esprit, c'est la combativité et la persévérance. Ne pas mettre la tête dans le sable si quelque chose ne va pas. Peut-être aussi les relations publiques. J'étais super nerveuse au début parce que je n'avais jamais eu à parler devant autant de personnes.

En tant qu'athlète, vous aviez des objectifs à long terme. C'est pareil dans votre travail?
Pour le moment, je suis juste super contente comme ça. Je ne regarde pas trop loin dans le futur. Peut-être qu'un jour, il y aura un projet familial. J'aurai bientôt 30 ans, on ne sait jamais.

Aimeriez-vous avoir des enfants?
Nous ne sommes pas pressés. Les enfants finiraient par devenir un problème. Tant que je n'ai pas terminé mes études, ma vie professionnelle reste assez intense, je voyage constamment, ce n'est pas possible du tout. Et j'aimerais d'abord acquérir plus d'expérience dans mon travail. C'est peut-être le seul bémol de mon entrée tardive dans le monde professionnel, beaucoup de gens acquièrent leur expérience beaucoup plus tôt.

Les Championnats du monde de gymnastique artistique approchent. Suivrez-vous les compétitions à la télévision?
Oui. Juste en tant qu'amatrice, parce que je suis intéressée. Et parce que j'aime beaucoup regarder la gymnastique artistique. L'année dernière, pendant les Championnats d'Europe, j'ai eu un petit malaise pour la première fois.

«J'étais assez nerveuse devant la télé, ça a soudainement recommencé à picoter. Mais curieusement, uniquement lors des compétitions au sol. Le reste me laisse froid»

Aussi le saut de cheval, votre discipline de prédilection?
Oui. J'avais et j'ai toujours pas mal de respect pour le saut de cheval, je ne peux même pas expliquer exactement pourquoi. A mes yeux, en revanche, les exercices au sol reflètent ce qu'est la gymnastique artistique. Il y a l'élégance, la vitesse, la puissance, et il y a aussi l'élément de la danse. C'est la discipline suprême. Et oui, pendant que je regardais à la télé, j'étais tout à coup assez bouleversée.

Qu'avez-vous fait de ces sentiments?
Rien. J'ai grimpé sur le coin du canapé et j'ai tordu mes doigts.

Ce sentiment a-t-il duré? Ou vous avez pu oublier tout de suite?
Je suis une maître dans «l'effaçage» des sentiments. Toujours. Donc c'est vite passé.

Effacez-vous également vos sentiments dans votre vie privée?
Je suis intrinsèquement une personne positive. Et je n'aime pas affronter des sentiments tristes ou négatifs. Mais quand cela arrive, seules les personnes qui me connaissent bien le remarquent.

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Votre sœur aînée, Désirée, est décédée en 2017. Y a-t-il aussi des moments liés à sa mort où vous devez réprimer des sentiments?
C'est quelque chose de complètement différent. Ce sont des sentiments complètement différents. Même maintenant, Désirée me manque tous les jours. Quand je fais face à sa mort, les larmes coulent encore. Et ce sera toujours le cas. Peu importe le temps qui s'écoulera.

Vous avez mentionné le scandale de Macolin. Tout a commencé avec une publication dans lesquelles divers gymnastes ont accusé les entraîneurs de maltraitance. Vous n'avez jamais commenté cette affaire...
... non, et je continuerai à ne pas le faire.

Pourquoi?
Pour me protéger. Il ne sert à rien qu'une bataille éclate en public. Ce que je peux dire, c'est que je suis désolée pour l'équipe suisse actuelle. Les circonstances dans lesquelles les athlètes doivent se qualifier pour les grands événements sont très difficiles. Nos gymnastes vivent dans le chaos. La conséquence, c'est que nous ne verrons que deux Suissesses au Mondiaux cet automne. Ça fait mal de voir ça.

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