Nous louons régulièrement l’Afrique du Sud pour l’intensité de son jeu, de la première à la dernière minute. À juste titre. Demandez donc aux Français ou aux Anglais qui, dans les derniers instants de leur match, ont accusé le coup, à la fois dans le jeu et le combat.
Les Bleus, qui avaient inscrit trois essais en première mi-temps lors de leur quart de finale, n’ont jamais atteint l’en-but sud-africain durant le second acte. Le XV de la Rose, lui, menait 12-6 à la pause en demi-finale. Les Anglais ont finalement cédé sur le fil (15-16), après avoir été trop souvent chahutés en mêlée en deuxième mi-temps, et donc pénalisés.
Cette puissance existait déjà lors de la précédente Coupe du monde. D'ailleurs, une photo des Springboks à l'entraînement avait beaucoup fait réagir. On y voyait les joueurs sud-africains torses nus, tous bodybuildés, faisant presque passer les avants des autres nations pour des «gros», au sens premier du terme. C'est dire la puissance qu'ils dégagaient.
The @Springboks squad... a few half decent rigs... @rugbyworldcup contenders...? I wouldn’t be betting against them anyways. pic.twitter.com/FIgVzGuGli
— Stephen Ferris (@StephenFerris6) September 6, 2019
Si l'aspect physique est l'une des principales caractéristiques de l'Afrique du Sud, et ce, depuis plusieurs années maintenant, il ne faut pas oublier à quel point la stratégie, toujours mûrement réfléchie par Jacques Nienaber et son staff, pèse dans les résultats de l'équipe.
C'est l'une des nouveautés inventées par l'Afrique du Sud. Mise en place pour la toute première fois en août dernier, lors d'un match de préparation gagné 35 à 7 contre les All Blacks, la «bomb squad» consiste à remplir le banc de sept avants pour un seul arrière quand, d'habitude, la répartition tourne autour de cinq pour trois, ou six pour deux.
Une prise de risque (notamment en cas de blessures malheureuses de plusieurs trois-quarts), qui avait largement porté ses fruits face à la Nouvelle-Zélande. Le sélectionneur sud-africain avait fait entrer ses sept avants en début de deuxième mi-temps, et dès la première mêlée jouée, son équipe avait pris un net avantage sur son adversaire.
Cette stratégie, l'Afrique du Sud l'a utilisée à plusieurs reprises durant la Coupe du monde, notamment contre l'Ecosse. Un véritable carnage.
L'Afrique du Sud sait aussi surprendre son monde. Alors que la «bomb squad» était de sortie lors de chacune des rencontres des Boks depuis le début du Mondial, il n'en était rien en quart de finale contre la France. Plutôt innatendu.
Les Sud-Afs se sont adaptés aux Bleus, comme le rappelait le sélectionneur français Fabien Galthié: «Pour bien les connaître, ils ont une approche tactique très pointue, très réfléchie. Ils sortent toujours une stratégie bien étudiée par rapport à l’adversaire, ce n’est jamais le hasard». Lui qui évoquait un jeu d'échecs aura finalement été mis mat par Nienaber.
Nous attendions les Springboks sur du jeu court et direct, leur permettant d'écraser physiquement leur adversaire. Le match s'est finalement joué dans les airs. À coups de chandelles, l'Afrique du Sud a mis le feu à la défense française, marquant sur cette phase pas moins de deux essais. Puis, la puissance des Boks a inévitablement pris le dessus, grâce à l'apport du banc, et ce, même sans cette fameuse «bomb squad».
Les rugbymen français ont peiné dans les derniers instants, comme si ces rucks, tous très disputés, avaient fini par les user. Durant tout le match, l'Afrique du Sud a tout fait pour ralentir le jeu dans ces zones, sans être sanctionnée. Probablement un coup stratégique, tant l'arbitre Mr O'Keeffe est connu pour être permissif.
On le sait, Manie Libbok n'est pas l'ouvreur le plus régulier. Ses échecs au pied contre l'Irlande ont d'ailleurs probablement coûté la victoire à son équipe. Le sélectionneur Nienaber a donc vu juste en rappelant Handré Pollard dans le groupe, pour pallier l’absence du talonneur Malcolm Marx. Le joueur de Leicester est une référence au pied, son profil est même à l'opposé de celui de Libbok.
En demi-finale, le staff sud-africain a eu la vista de remplacer Libbok par Pollard à la demi-heure de jeu, quand les Springboks étaient embourbés dans le piège anglais. Un choix tactique comme on en voit peu à ce niveau-là. Sous la pluie et face à des Anglais en place, la partie ne demandait plus de faire vivre le ballon comme sait si bien le faire Libbok. Il fallait du jeu au pied pour gagner du terrain, ce pourquoi Pollard est réputé.
Bien sûr, l'apport du banc a une nouvelle fois payé en fin de match. Mais sans Pollard, qui a passé la dernière pénalité, qui plus est lointaine, l'Afrique du Sud ne serait peut-être pas en finale.
Il ne reste plus qu'un match à gagner aux Springboks pour soulever une quatrième Coupe du monde. Et pas des moindres, puisque leur adversaire en finale n'est autre que les redoutables All Blacks.
Si l'on est sûr que les Sud-Afs seront au rendez-vous sur le plan physique, on peut l'être aussi concernant la stratégie. Felix Jones, l'assistant de Nienaber, a d'ailleurs déjà déclaré que son équipe avait un plan à tenir, et que les joueurs «savaient ce qu'ils devaient faire pour gagner». Le ton est donné.