Ceux que les tribulations judiciaires de Novak Djokovic commençaient à lasser ne sont pas au bout de leur exaspération. A peine dans l'avion du retour, le Serbe a appris qu'il ne serait pas le bienvenu à Roland-Garros; là encore. Une enquête devra également déterminer, à plus ou moins court terme, si le champion a produit des documents falsifiés; auquel cas sa carrière sera au mieux compromise.
L'Australie a confirmé que l'annulation de son visa entraînait une exclusion automatique de trois ans, très exactement une interdiction de territoire. Dans les faits, Novak Djokovic ne retrouvera éventuellement la Rod Laver Arena, où il a déjà triomphé 9 fois, qu'à l'âge de 37 ans et 8 mois.
Pour casser la décision de justice et briguer un nouveau visa, le Serbe devra avancer «quelques raisons impérieuses», selon les commentaires du ministre des affaires intérieures, Karen Andrew. Impérieux, dans le dictionnaire: «Qui est pressant, auquel on ne peut résister, qui s'impose comme logique, nécessaire». Comment un retour en grâce de Djokovic pourrait-il paraître logique, et un tournoi de tennis nécessaire, aux yeux du peuple australien?
Le champion devra également répondre de son test PCR positif du 16 décembre et prouver qu'il n'était pas antidaté, comme le suggèrent les experts informatiques du Spiegel, si une autre enquête médiatique ou judiciaire devait renforcer les soupçons.
Le règlement de l'Association des joueurs de tennis professionnels (ATP) est sans équivoque: toute personne qui produit des documents falsifiés, en particulier de faux certificats Covid, encourt «une suspension pouvant aller jusqu'à trois ans». A deux réserves près en l'occurrence:
Tout juste expulsé d'Australie, Novak Djokovic a donc appris qu'il était indésirable en France, malgré les efforts de Roland-Garros pour lui être agréable.
Selon le modèle des deux précédentes éditions, le tournoi travaillait «à l'accueil des sportifs étrangers non vaccinés» au moyen d'une bulle sanitaire classique: auto-boulot-dodo. Le gouvernement a clairement écarté cette idée, lundi matin, en adoptant la généralisation du pass vaccinal.
Le pass vaccinal a été adopté. Dès que la loi sera promulguée, il deviendra obligatoire pour entrer dans les ERP déjà soumis au pass sanitaire (stade, théâtre ou salon) pour l’ensemble des spectateurs, des pratiquants, des professionnels français ou étrangers 1/2
— Roxana Maracineanu (@RoxaMaracineanu) January 16, 2022
Pour défendre ses intérêts, l'Open d'Australie s'était tourné vers les autorités locales; avec le résultat que l'on connaît. Roland-Garros ne commettra pas cette erreur.
Sans vaccination complète d'ici à mars prochain, Novak Djokovic ne sera pas davantage admis à Miami et Indian Wells: les Etats-Unis n'accordent quasiment aucune exemption aux voyageurs étrangers, même en cas d'infection récente. Selon toute vraisemblance, le Serbe manquera encore la tournée américaine d'août et septembre (Toronto, Cincinnati, US Open).
L'Espagne a ouvert une enquête pour éclaircir les conditions de son entrée à Marbella, fin décembre, quelques jours après un test PCR positif. Les services douaniers n'ont «trouvé aucune trace de la présence de M. Djokovic» sur le sol espagnol, où l'ATP organise plusieurs tournois (Madrid, Valence, Barcelone).
De leur côté, l'Angleterre (Wimbledon, Queens) et l'Allemagne (Halle, Hambourg) temporisent. Indépendamment des décisions gouvernementales, plusieurs tournois exigent un processus vaccinal complet, sans autre voie subsidiaire. L'ATP soutient cette démarche qui, peu à peu, devient la norme.
ATP > Becker : "Djokovic risque de connaître une triste fin de carrière pleine de regrets" https://t.co/INwc5Dlz6X
— Rambalconcord (@Rambalconcord) January 15, 2022
Si Daniil Medvedev ou Alexander Zverev s'imposent à Melbourne, ils deviendront n°1 mondial le 21 février prochain, quand les points du dernier Open d'Australie seront retranchés. Soit - 2000 points pour Djokovic qui, théoriquement, pourrait les grappiller ailleurs, dans des tournois de seconde zone, si sa situation sanitaire le permet et s'il y consacre tout son temps. Très théoriquement...
Après l'Australie, Medvedev et Zverev poursuivront leur marche en avant. Djokovic, lui, sera pratiquement inactif. Il pourrait assister à une passation de pouvoir dont il n'a pas encore conscience, occupé à des guerres contre la terre entière et à la conquête d'un 21e titre du Grand Chelem, son obsession aveuglante.
S'il ne devait disputer que quelques matchs épars, Djokovic s'exposerait à l'ascendant d'une concurrence toujours plus vive, toujours plus forte, toujours plus indocile.
Comme Roger Federer (40 ans) et Rafael Nadal (35 ans) au même âge, le Serbe (34 ans) deviendrait également son propre adversaire. Le danger ne consisterait pas fatalement en une usure physique ou une régression technique. A partir d'un certain âge, ou «d'un certain nombre de balles jouées», selon la définition très personnelle de Mats Wilander, un champion peine surtout à maintenir un niveau de concentration élevé, de manière plus ou moins durable et linéaire.
Le manque de compétition est un facteur aggravant. Ici, les signes avant-coureurs de vieillissement se manifestent par la répétition toujours plus rapprochée des sautes de concentration et des jours sans. Le joueur ne parvient plus à atteindre l'intensité émotionnelle de ses années folles, encore moins à y recourir occasionnellement.
«On le voit très bien avec Roger (ndlr: Federer)», nous expliquait Henri Leconte l'an dernier. «Il a gardé la classe, la patte, le coup d’œil. Ce n'est pas non plus qu'il soit à la rue physiquement. Mais il a des trous et ça, c'est l'âge, c'est la vie peinarde, des mois sans compétition ni pression. Je sais de quoi je parle.»
A son grand retour en mai 2021, Federer avait perdu de sa lucidité, peut-être de sa spontanéité; il était un peu hésitant, un peu en retard, sans que ses capacités physiques et tactiques ne soient profondément altérées. «On peut tout exercer: la technique, l'endurance, la répétition des efforts. Mais pour la concentration, il n'y a qu'une seule méthode: la compétition», rappelle Magnus Norman, ancien coach de Stan Wawrinka.
De tout temps, Djokovic a fait de son tennis une construction parfaite, où chaque geste obéit à une fonction précise, à un processus minutieux. Un mécanisme aussi sophistiqué ne pourrait rester à l'arrêt sans finir par se dérégler.
Djokovic peut-il reconsidérer sa position sur le vaccin, sacrifier sa quête spirituelle sur l'autel du bonheur matériel? La plupart de ses proches semblent en douter, davantage pour des questions de santé, de convictions profondes, que pour des postures antivax que le Serbe n'a jamais revendiquées, même s'il en est devenu, un peu à son corps défendant, une sorte de martyr et de bolchevik en col blanc.
Très prosaïquement, sa situation est claire. Soit Djokovic renonce à ses principes, soit il renonce à tout ou une partie de sa carrière qui, aujourd'hui et jusqu'à nouvel avis, est interrompue pour une durée indéterminée.