«Il va falloir secouer le cocotier», avait prévenu Nicolas Escudé en mai dernier, avant d'ajouter dès la phrase suivante: «Il va falloir passer des coups de balai.» Preuve que le directeur technique français a de la suite dans les idées (tout homme averti qui secoue un arbre prévoit d'en balayer les feuilles).
Disons-le: même orné de métaphore horticultrice, le paysage du tennis français n'a pas beaucoup changé. Les saisons passent, les anciens trépassent. Chaque dimanche de finale est un nouveau petit matin blême, un prétexte à repasser la VHS de Noah (40 ans déjà) en écoutant du desirless. Il n'y a plus de Français à aduler ou à calomnier. Pas même un évadé fiscal à chérir secrètement. «On est nuls et puis voilà», schématise un commentaire sur le forum de L'Equipe.
A trop s'en convaincre, la France des baltringues a compris que son jour de gloire n'était pas prêt de réarriver et s'en est faite une sorte de raison, exprimée ici par un autre internaute: «On ne fera jamais boire un cheval de course qui n'a pas soif.» Au stade libérateur de la désillusion totale, les observateurs, eux aussi, abdiquent: ils préfèrent jeter un regard échaudé dans le décolleté d'Alizée Cornet, objet de polémiques inutilement blessantes sur de pseudos bikinis rikikis, qu'un regard cru sur la débandade des hommes.
Pour la première fois de l'ère moderne, aucun joueur français ne figurera dans le top 40 à la fin de l'année. C'est un problème de taille, reconnaissent les experts: gabarits petits, esprits étroits, ego obèses. Au plus fort de la tempête, les critiques partent dans tous les sens (comme les feuilles du cocotier): relève douée mais pas prête, système perfectionné mais rigide, subventions généreuses mais toxiques. Le tennis français ne sait plus où il va: trop de pression, pas assez d'exigence, méconnaissance du milieu.
0. Pour la première fois depuis le 6 juillet 1997, aucun joueur Français n'est présent dans le Top 40 du classement ATP.
— Jeu, Set et Maths (@JeuSetMaths) October 17, 2022
🇫🇷 Adrien Mannarino - N°42
🇫🇷 Gaël Monfils - N°44
🇫🇷 Arthur Rinderknech - N°51 pic.twitter.com/kOwISR6ABE
Au terme de cette funeste semaine où Gilles Simon rejoint Jo-Wilfried Tsonga à la retraite, il faut encore pleurer l'oeuvre inachevée des Mousquetaires, conquérants de l'inutile. Ces quatre-là ont écumé les Grand Chelem avec panache pendant plus de quinze ans, sous les vivats médiatiques de la France cocardière, sans jamais ramener le moindre trophée.
Dans le langage fédéral, on dit que quand le singe veut monter au cocotier, il doit avoir les fesses propres (= être prêt pour le haut niveau). Dans la France d'Hanouna, on explique que les Mousquetaires n'ont pas eu le seum et/ou n'ont pas kiffé leur life d'Übermensch surentraîné au-delà d'une bonne heure par jour. Tsonga était puissant, sûr de sa force, jusqu'à devenir un peu lourdingue. Monfils est un enfant prodige qui aime jouer à tout, le basket, le piano, le foot, le poker (le tennis). Gilles Simon a fait le max, pas la peine d'insister.
Richard Gasquet, présenté à 9 ans (!) en Une d'un magazine comme «le champion que toute la France attend», était certainement le plus doué. Mais «Richie» est d'abord un artiste, un saltimbanque, un amateur de beau jeu, avec un petit côté vieille France dans le swing de revers. Comme tous les esprits joueurs, il est resté pur et un peu naïf. Sa démarche est désintéressée, déconnectée des basses contingences utilitaires et des concepts de glorification massive.
Gasquet n'a jamais aspiré qu'à s'engouer sans contrainte, au gré de ses inspirations géniales. La France a attendu, mais il n'est jamais venu (aïe, aïe, aïe, aïe). Quand Richie était interpelé sur ses ambitions, il disait «putain» toutes les deux phrases et soupirait comme un fer-à-repasser: «Les Grand Chelem, les interviews, tout cette pression autour des vainqueurs. Putain... (soupir).» Sa vraie nature est apparue après un bref séjour à Manacor, dans la famille de Nadal, où il a découvert le monde du travail: «Le mec s'entraîne à fond même sous le cagnard», s'était-il exclamé avec effroi, comme qui aurait croisé E.T. dans l'ascension du système solaire.
Gasquet n'a jamais demandé qu'à disposer de son talent à bien plaire et puis déjeuner en paix, loin de toute déférence et des ronds-de-cuir sourcilleux. Il n'a jamais aspiré qu'à tirer des revers et galocher des Pamela. La beauté du geste est ici une posture idéologique que l'écrivain Denis Grozdanovitch, lui-même ancien espoir du tennis français, revendique comme un héritage culturel:
On pourrait voir dans chaque défaite l'affirmation d'une identité française mais en étant moins taquin, il est facile de reconnaître un classicisme de bon aloi, porté vers l'élégance et la justesse, jusqu'à une certaine vulgarité de l'efficience. Les Français veulent gagner mais il est un prix que tous n'acceptent pas de payer.
Les mauvaises langues, certes, rappelleront que ce n'est pas leur argent, que l'assistanat à la française autorise toutes les coquetteries. «Quand je travaillais pour la fédération, des jeunes de 18 ans avaient leur petit appartement à Auteuil, un chien et des contrats à long terme. Cette vie les a mal préparé aux exigences de la compétition», nous racontait le coach mental Makis Chamalidis. Sur le sujet, Nicolas Escudé, 46 balais et quelques cocotiers dans sa ville de Pau, montre une belle hauteur de vue:
Si l'espoir fait vivre, et que les Français sont de bons vivants, alors en théorie, il n'y aurait aucune raison de désespérer. Sauf que le temps passe, que les attentes lassent. Depuis que les Français n'atteignent plus les quarts de finale en Grand Chelem, les journalistes ne parlent plus de quinzaine mais de carrière à la petite semaine. Gasquet joue pour le plaisir, Paire pour l'argent et Garcia pour son papa. Mais qui joue la gagne? Franchement?
La question ramène à ces enfants prodiges que la fédération recherche désespérément en chaque cocotier jeunot un peu adroit, et que les médias perçoivent immédiatement comme le fils caché d'Henri Leconte et de Mary Pierce.
Il y a cinq ans, la direction technique fondait de grands espoirs dans la moitié finlandaise (par sa mère) de Lucas Pouille - une tête froide sur un coeur de troubadour, joies de la génétique. Mais les chromosomes du tennisman ne suivent pas la même logique que la génétique du cheval de course. Passée son émergence, Pouille s'est retrouvé le nez dans le sceau de mojito, où tous les glaçons ne suffisaient pas à réveiller le Finlandais qui pionçait en lui. De fêtes en défaites, puis en dépressions, l'homme a perdu la foi dans des guérisons trop longues et dans des villes de grande solitude.
Quand Gasquet a pris de l'âge et perdu la rage, Benoît Paire est devenu le nouveau champion que la France attend, «un gars un peu comme vous», avait suggéré un jeune confrère parisien à Roger Federer dans l'hémicycle de Roland-Garros. Or Paire (sans jeu de mot, ou presque) est d'abord devenu le symbole d'un certain spleen franchouillard, à grommeler dans sa barbe ses déboires de tennisman à 10 000 dollars la semaine, pressé de rentrer chez lui où aucune critique, aucune balle de break, ne viendraient siffler à ses oreilles. Paire n'en était pas moins le Français le mieux classé au dernier Roland-Garros, ce qui en dit beaucoup du tennis français et du karma (et des nostalgiques de Noah).
L'autre surdoué du moment, Corentin Moutet, vient d'être exclu de la fédération en raison de son comportement.