Tadej Pogacar devrait, sauf incident majeur, remporter ce dimanche le Tour de France au terme de la 21e étape entre Mantes-la-Ville et les Champs-Elysées.
Le Slovène a survolé cette 112e édition, reléguant son principal rival, Jonas Vingegaard, à plus de quatre minutes (4'24 exactement ce dimanche matin). En prime, Pogacar a remporté un total de quatre étapes.
Cette quatrième Grande Boucle, en passe de s’ajouter à son palmarès, est aussi, d’une certaine manière, une réussite suisse. Il est vrai que «Pogi» porte les couleurs de la formation-Etat UAE Team Emirates. Or celle-ci est enregistrée auprès de l’Union cycliste internationale (UCI) à Lamone, au nord de Lugano, et non aux Emirats. L'équipe est en effet pilotée par la société CGS Cycling Team AG, dont le management est notamment composé d'un proche de la famille royale Al Maktoum, l'investisseur Matar Suhail Al Yabhouni Al Dhaheri, et du Suisse Mauro Gianetti.
Mais au-delà des simples dispositions légales, le Tessinois Gianetti est surtout le grand patron de la formation émiratie, celui qui a bâti ce collectif, bien aidé par le soutien financier de l’Etat pétrolier. Sa gestion et ses choix font logiquement de lui un acteur incontournable dans la carrière de Tadej Pogacar, en dépit de son passé sulfureux, tant comme coureur que dirigeant.
Cependant, Gianetti n’est pas le seul lien entre Pogacar et la Suisse. Il en existe d’autres, comme l'agence A&J All Sports, basée à Chiasso (TI). Elle gère les intérêts du champion du monde, proche de l’Argovien Jan Christen, son équipier et ami chez UAE.
Tous ces éléments sont connus. Ce qui l'est moins, en revanche, c'est qu'une minuscule entreprise établie à Bâle joue un rôle clé dans les excellents résultats du Slovène: il s'agit du studio Fjeld, partenaire de Colnago, le fabricant de cycles qui fournit des vélos à Tadej Pogacar et à tous les coureurs de la formation UAE Team Emirates. La structure rhénane, elle, contribue depuis 2021 à leur conception, en se concentrant sur les cadres et les guidons.
Le bureau d’études a passé plusieurs années à développer les deux vélos de route actuellement utilisés par l'équipe: le V5Rs, un modèle typé montagne, et le Y1Rs, plus axé sur l’aéro. Ce dernier a d’ailleurs marqué les esprits lors de son lancement en début de saison. Un brin révolutionnaire, il est venu combler le retard que Colnago accusait jusque-là en matière d’aérodynamisme face à d’autres fabricants.
Le Y1Rs est si performant que Pogacar l’a privilégié sur ce Tour jusque dans les étapes de montagne, là où le V5Rs semblait pourtant plus indiqué, car plus léger. Or selon Colnago, l’avantage aérodynamique de ce modèle l’emporte sur le handicap lié au poids. Un handicap que la manufacture italienne s’efforce d’atténuer en retirant toute fioriture sur le Y1Rs du Slovène.
Vous l’aurez peut-être remarqué: lors de certaines étapes de montagne, comme à Peyragudes ou au Ventoux, Tadej Pogacar a couru avec un cadre brut noir, et non avec sa livrée blanche aux couleurs de son maillot de champion du monde. Cette simple peinture ajouterait 100 grammes, voire davantage, au poids du vélo.
Mais revenons à la société bâloise. Lors d’une interview accordée à la NRK, le Norvégien Torgny Fjeldskaar, directeur du design au sein du studio Fjeld, a expliqué que les nouvelles machines de la marque Colnago étaient avant tout conçues pour le Slovène, soulignant l'implication du leader de la formation UAE Team Emirates dans le processus de création.
Autre élément intéressant: Fjeldskaar, qui rencontre le champion du monde lors de stages ou de tests en soufflerie, et consacre sa vie à lui garantir le meilleur vélo, a précisé que «Pogi» utilise un guidon de 36 centimètres. Or l’UCI imposera une largeur minimale de 40 centimètres dès la saison prochaine, ce qui contraindra Pogacar à adopter une position moins aérodynamique.
Torgny Fjeldskaar et son équipe devront donc redoubler d’ingéniosité pour s’adapter à cette nouvelle exigence et minimiser son impact. Mais pour l'heure, aussi bien à Bâle qu’au Tessin, il est probable que l'on soit surtout en train de savourer la satisfaction du devoir accompli.