Semaine après semaine, week-end après week-end, quelque part dans le monde, quelqu'un lève les bras pour célébrer un triomphe, fond en larmes, enfouit son visage dans ses mains tandis que la foule l'acclame. Le tennis écrit son histoire dans un flux d'émotions qui ne tarit jamais. Mais il y a certains de ces moments, plus que d'autres, que l'on n'oublie jamais. Parce qu’ils sont plus grands qu'une simple interaction entre la victoire et la défaite.
Coco Gauff avait 13-14 ans, elle ne se souvient plus exactement, lorsqu'elle a imaginé sa propre histoire. «Je jouais l'US Open juniors, je regardais la finale hommes et, là, je m'y suis vue. Ensuite il y a eu cette finale à Roland-Garros en 2022 où j'ai regardé Iga (Swiatek) soulever le trophée, je ne l'ai pas quittée des yeux parce que je voulais savoir ce que ça lui faisait. Et aujourd'hui, j'ai ressenti une folie en moi en soulevant ce trophée.»
Coco Gauff remporte l'US Open à seulement 19 ans, portée par une foule en transe et vainqueure au courage de la sur-puissante et nouvelle No 1 mondiale Aryna Sabalenka (2-6 6-3 6-2).
Coco Gauff avait conquis son premier titre chez les «adultes» à l'âge de 15 ans (Linz 2019). Depuis, tout le monde l'attend - tantôt les bras ouverts, tantôt de pied ferme - comme la nouvelle Serena Williams.
Il y a seulement un an, la star afro-américaine faisait ses adieux au tennis sur le même court. Serena Williams était non seulement l’une des joueuses de tennis les plus titrées de l'histoire, mais aussi une icône du progressisme et de la lutte anti-raciste. C'était du moins le rôle qui lui était assigné et qu'elle a embrassé tout au long de sa carrière, parfois plus fougueusement que d'autres.
Le fait que presque personne n'ait parlé de Serena Williams pendant cet US Open est peut-être dû au temps qui passe. Mais peut-être plus encore à l'arrivée d'une jeune femme qui, sous de nombreux traits, jusqu'à certaines mimiques à la noirceur étudiée (visage fermé, regard vers le sol), rappelle furieusement l'ancienne championne et ses vieilles postures de caïd californienne. Dans un sport animé par une soif insatiable de nouveaux visages, Coco Gauff est devenue une figure avant l'âge de porter du mascara. Elle est devenue l'héritière naturelle de Serena Williams.
Le scénario semblait écrit depuis des semaines: Coco Gauff remporte son premier titre du Grand Chelem dans le stade Arthur Ashe, du nom de l'Afro-Américain iconique, dans le plus grand amphithéâtre de tennis au monde. Ses récents sacres à Washington et Cincinnati ont décuplé l'attente des Américains. À New York, tout le monde ne parlait que du «Summer of Coco».
Le règne était annoncé, certes. Mais personne ne devrait penser que c’est facile et que la carrière d'une jeune prodige du tennis se déroule comme une présentation PowerPoint. Il faut y ajouter le mal du pays, les voyages, la solitude, la haine sur les réseaux sociaux, la pression d'être à la hauteur. Le plus remarquable est la maturité et le calme avec lesquels Coco Gauff a vécu tout cela. Pareil sur le court: elle a dû disputer une manche décisive à trois reprises durant l'US Open, dont deux après avoir perdu le premier set. Mais pas de soucis.
Ce n'est pas tant la joueuse exceptionnelle qui, avant ce sacre, était déifiée, que la personnalité singulière. Il existe une fascination ancienne pour sa façon de penser et de parler. Son habitus. Lorsque des militants écologistes ont perturbé sa demi-finale avec des cris et que l'un d'eux a collé ses pieds nus au sol, l'interruption a duré 49 minutes. Coco Gauff a non seulement fait preuve d'empathie mais a considéré que cette action avait du sens. Des moments comme ceux-ci façonnent l'histoire. Ils racontent une femme de conviction capable d'aborder le monde autrement que match après match.
Coco Gauff a aussi exigé avec force que les États-Unis changent. Mais elle le sait aussi, elle a l'impulsivité de ses 19 ans: «Je pense que je suis juste en train de grandir.» Quand on lui demande de décrire son processus de maturation en tant que joueuse et que personne, elle répond: «Par la méthode essai-erreur.»
Sa défaite il y a un peu plus d'un an en finale de Roland-Garros, contre Iga Swiatek (6-3 6-1), n'était peut-être pas une erreur, mais une désillusion. Coco Gauff l'a toujours su au plus profond d'elle-même: elle était née pour régner. Pas pour repartir avec un plateau d'argent en serrant des mains compatissantes.
Elle vit avec cette exigence depuis ses 15 ans et ne dit pas (contrairement à Djokovic par exemple) que la pression est un privilège. «Ca n'a pas été facile. La route a été longue pour en arriver là. Je n'étais pas une joueuse complète et je ne pense pas l'être tout à fait encore. A 15 ans, on voulait que je gagne un tournoi du Grand Chelem. J'avais l'impression d'avoir une limite d'âge à ne pas dépasser et que si je gagnais un Grand Chelem après cette date de péremption, ce ne serait pas un exploit. C'est fou tout ce que j'ai pu entendre ou lire à mon sujet, alors oui, je suis très contente d'avoir réussi à tout gérer.»
Sur les réseaux sociaux, une vidéo la montre enfant dans les tribunes du stade Arthur Ashe, en train de prendre date avec sa félicité future.
Maintenant, tout le monde considère que ce sacre à l'US Open n'est qu'un jalon sur la voie royale qui doit la conduire à devenir, non seulement la reine du tennis, mais une icône du sport. Coco Gauff fut la première à croire en son destin. Une autre vidéo sur YouTube la montre dans sa chambre de jeune fille, souveraine, face à un poster de Serena Williams. Elle dit posément: «Un jour, je veux détenir le record de titres en Grand Chelem et être la meilleure de l'histoire, meilleure que Serena.»