C'est une image qui appartient pour l'éternité à la glorieuse histoire du sport suisse; une photo qui a fait le tour du monde et que personne n'a oublié, même 15 ans plus tard. C'était aux Jeux d'été 2008 de Pékin: Wawrinka est allongé sur le sol, les bras et les jambes tendues, pendant que Federer, agenouillé près de lui, agite ses mains au-dessus de son coéquipier.
Sur l'instant, le Bâlois semble se nourrir de la chaleur de son partenaire pour réchauffer ses mains. Puis les deux hommes tombent dans les bras l'un de l'autre. «Il était tellement chaud aujourd'hui que je voulais encore me réchauffer contre lui. Il était presque en train de brûler», expliquera Federer après coup.
Ce qui a échappé à beaucoup, avec le temps, c'est que la photo originale n'a pas été prise au terme de la finale mais juste après la demi-finale, conquise de haute lutte par la paire suisse face aux jumeaux Bob et Mike Bryan (7-6 6-4). En finale, les deux Suisses ne font que répéter ce qui s'est passé spontanément la veille.
Par son geste, Federer rend aussi hommage à celui qui a été le moteur dans la dynamique du duo, ce Stan Wawrinka qui est monté en puissance au fil des tours jusqu'à s'enflammer vraiment dès le quart de finale contre les Indiens Mahesh Buphati/Leander Paes. À partir de cet instant, le Vaudois avait enchaîné les coups gagnants avec une régularité impressionnante jusqu'à la victoire suisse 6-3, 6-4, 6-7, 6-3 en finale contre les Suédois Simon Aspelin/Thomas Johansson.
Le double avec Wawrinka est une aubaine pour Federer car il l'aide à sortir d'une phase difficile. Avant Pékin, «RF» avait été détrôné par Rafael Nadal à Wimbledon et avait été sorti en quart de finale du simple olympique par James Blake.
Dans les mois qui suivront son titre olympique de double, il remportera l'US Open et battra le record de Pete Sampras en Grand Chelem.
Le conte de fées olympique avec Federer est également précieux pour Wawrinka. Le Lausannois, vainqueur de Roland-Garros chez les juniors en 2003 et entré pour la première fois dans le top 10 du classement mondial l'année des Jeux olympiques, attendait encore à ce moment-là de réaliser un grand coup sur le circuit, d'obtenir une victoire qui allait changer son destin de tennisman. Il avait certes remporté son premier tournoi ATP à Umag (Croatie) en 2006, mais il végétait alors dans l'ombre de son compatriote Federer et souffrait d'une réputation de perdant notoire.
Après les Jeux de Pékin, le Vaudois deviendra une bête imprévisible, Stan the Man, Stan the marathonien, capable d'enchaîner les efforts à haute intensité avec une qualité de frappe que beaucoup lui envient. Le public le considère différemment. Sa modestie, son humilité face aux Big Four (Federer, Nadal, Djokovic et Murray) étaient interprétées comme un manque de foi en ses propres forces. Mais Wawrinka réalise qu'il n'a pas à se cacher derrière Federer sur le court, et qu'il peut rivaliser avec les meilleurs. Son entraîneur Magnus Norman, qu'il rencontre en 2013, finira de lui inculquer cette confiance en soi qui transforme un grand joueur en vainqueur de Grand Chelem.
Wawrinka remportera par la suite de grands titres, Federer aussi, mais le Bâlois parlera toujours du succès de 2008 en double comme de l'une de ses plus belles conquêtes, parce qu'il a toujours eu un lien particulier avec les Jeux olympiques, même s'ils sont considérés comme moins prestigieux que les Grands Chelems dans le monde du tennis. «RF» s'est toujours impliqué dans chacune des éditions olympiques à laquelle il a participé, appréciant la vie au village olympique et les rencontres avec d'autres sportifs. C'est d'ailleurs aux JO de Sydney en 2000 qu'il avait rencontré sa future femme Mirka.
La magie opère souvent aux JO, sur le terrain comme en dehors. Et parfois elle se déplace. Federer ne remportera pas d'autre titre olympique avec Wawrinka mais il ressuscitera le souvenir de Pékin six ans plus tard en Coupe Davis. A Lille, la paire «Fedrinka» remporte la finale contre la France, grâce notamment à une victoire en double contre Richard Gasquet et Julien Benneteau. (dab/ats)