Quand un joueur sans exploit, modeste matricule 92 à l'ATP, devient une célébrité, c'est soit qu'il est Français, glorifié à l'aube de sa carrière par le chant du coq, soit qu'il a fait des bêtises. Phénomène intéressant, Hugo Gaston cumule les deux.
Depuis trois jours, les réseaux sociaux l'épinglent sous l'intitulé: «L’abandon de la honte». Hugo Gaston était mené 2-5 0-40, trois balles de match à suivre, quand il a décidé de jeter l'éponge. Comme s'il était souffrant au point de ne pas pouvoir rester une seconde de plus sur le court et, dans le pire des cas, envoyer deux services dans les bâches.
Ses suppôts ont bien tenté de le défendre: grosse fatigue, plus envie, limite rassrah, et son adversaire ne méritait que ça, avec sa réputation de mauvais coucheur et son passé de poucave - l'Argentin Marco Trungelliti a dénoncé de nombreux paris truqués dans le tennis.
Problème: Hugo Gaston est un multirécidiviste de l'anti-jeu, déjà condamné pour quatre infractions de ce type en 2023. Ce printemps, l'ATP lui a infligé une amende record de 144 000 euros, réduite de moitié en appel pour une période probatoire de douze mois. Cet abandon à Vérone sera-t-il considéré comme de la récidive? C'est une question à 72 000 euros.
Avant de devenir une terreur de bac à sable, Hugo Gaston s'est révélé un après-midi d'automne 2020, en plein confinement, dans une saison de tennis chamboulée par le Covid (ou plutôt, il n'y avait plus de saison, comme disent les paysans). Cinq millions de téléspectateurs français n'avaient rien de mieux à faire que regarder Roland-Garros comme s'ils étaient encore au printemps et Hugo Gaston comme s'il était déjà une hirondelle.
Opposé à Stan Wawrinka, le Toulousain a saisi cette chance unique. Il y a bien longtemps que la France n’avait pas vu autant d'agilité chez un si petit homme (1,73 mètre), un très jeune homme (20 ans à l'époque), gaucher de surcroît, pour voir le bon côté des choses - plus créatifs et coordonnés, les gauchers sont notoirement surreprésentés dans les domaines de l'art, de la musique et du sport.
Passer de potentiel « nouveau chouchou » à joueur détestable il n’y a qu’un pas et celui-ci que Hugo Gaston a décidé de franchir ! La balle jeté en plein jeu déjà inexcusable maintenant on rajoute le fair-play 👎🏽👎🏽 #hugogaston https://t.co/0QWDf1KIWn
— Dietrich (@dietrichgab) July 27, 2023
Hugo Gaston a poussé Wawrinka au chaos technique, pour rapidement lui prendre la tête (variations), lui briser les jambes (amorties) et lui casser les pieds (revers slicé). Sous la pluie et le vent mauvais, Roland-Garros a vécu hors du temps, dans l'élégance surannée, un rien aristocratique, d'un tennis poseur, un tennis qui revendique sa différence, sa subtilité, qui cherche à manipuler plus qu'à frapper.
Même le public français découvrait ce lutin malin, maître du petit jeu, vainqueur de l'Orange Bowl mais oublié depuis. Réduit à ses jambes basses et à ses parents collants. Une victoire contre Wawrinka: il n'en fallait pas plus pour que certains experts français devinent en lui le fils caché d'Amélie Mauresmo et de Fabrice Santoro.
Dans un sondage lancé par L'Equipe peu après le tournoi, 50% des internautes voyaient Gaston intégrer le top 10 mondial. Trois ans plus tard, le Toulousain fête son retour dans le top 100. L'attention disproportionnée qu'il continue de susciter est moins le fait de ses victoires en banlieue que de ses petites combines, jeune caillera d'arrière-court.
Devenu célèbre pour ses micmacs avec la balle, Gaston l'est resté par ses embrouilles avec tout le monde; un abandon par ci, une balle qui bondit de sa poche par là. Nos confrères français décrivent un garçon réservé, chiche en effusions, qui traine peu dans les vestiaires. Beaucoup regrettent «son manque de générosité», tout en lui trouvant des circonstances atténuantes: timidité, méfiance, raideurs provinciales, rancune envers un milieu qui ne croyait pas en lui.
Sur le court, l'espoir en devient désespérant. Celui auquel L'Equipe prêtait «un don presque mythique pour entrer dans la tête de l'adversaire» laisse n'importe qui prendre la sienne - trop grande, trop vide? Gaston, y a le carafon qui son? (pour ceux qui n'ont pas la réf).
Passé l'effet de surprise, tout le monde voit clair dans son jeu. Les vieux roublards comme Marco Trungelliti savent très bien que la variété de Gaston ne résiste pas à l'épreuve de force. Et que dire de sa mise en jeu... Daniil Medvedev déclarait en 2021: «La faille, c'est son service, sinon Gaston serait déjà top 10.» Drôle de service (mais peut-on rire de tout?): Hugo Gaston ne fait pas rebondir la balle avant le lancer. «Je ne l'ai jamais fait. Je n'aime pas.» Pas envie. Grosse flemme. Encore ce doute.
Et toujours la même question: quand un joueur sans exploit, modeste matricule 92 à l'ATP, devient une célébrité, où est le problème? Chez ceux qui tiennent la plume ou la raquette?