Une semaine avant le début de l'Open d'Australie, Peng Shuai a fêté son 37e anniversaire. Personne ne le sait. Et pour cause: on n'a plus aucune nouvelle de la Chinoise, autrefois numéro 1 mondiale en double, vainqueur de deux tournois du Grand Chelem, et finaliste à Melbourne en 2017. Le gouvernement chinois tente d'effacer toute trace de sa vie. Comme si Peng Shuai n'avait jamais existé.
Début novembre 2021, l'ex-tenniswoman avait accusé l'ancien vice-premier ministre chinois sous Xi Jinping, Zhang Gaoli, d'abus sexuels sur le réseau social Weibo, l'équivalent chinois de Facebook. C'était la première fois que des accusations de ce type étaient formulées publiquement contre un haut représentant du parti communiste chinois (PCC). L'article n'a été visible que 30 minutes pour le public, avant qu'il ne soit censuré.
Comme l'année dernière, des activistes ont profité de l'ouverture de l'Open d'Australie pour attirer l'attention sur le sort de Peng Shuai. Lorsque le tournoi a débuté lundi à 11 heures, heure locale, des militantes ont pris d'assaut le site. Elles portaient des t-shirts à l'effigie de Xi Jinping avec l'inscription «Où est Peng Shuai, dictateur?» Elles ont ensuite distribué d'autres t-shirts et ont harcelé plusieurs joueurs chinois près des terrains d'entraînement.
L'activiste des droits de l'Homme, Drew Pavlou, est à la tête de cette action. Et il ne compte rien lâcher:
Lui et ses compagnons de lutte ont annoncé leur intention de se manifester lors des quatre tournois du Grand Chelem, quand l'attention sera la plus grande.
Activists wearing Peng Shuai shirts at Wimbledon today - security stopped them, searched them and instructed them not to speak to any spectators about Peng Shuai #WhereIsPengShuai @freetibetorg @Martina @BenRothenberg @PatrickMcEnroe pic.twitter.com/RwHHTr9zsj
— Drew Pavlou (@DrewPavlou) July 4, 2022
L'Open d'Australie les a laissés faire cette fois-ci. L'année dernière, le directeur du tournoi, Craig Tiley, avait brièvement interdit les t-shirts et les affiches portant l'inscription «Where is Peng Shuai?», mais avait dû lever cette interdiction après de vives protestations. Wimbledon a également réagi avec véhémence à ces manifestations. L'an passé, lors de la finale entre Novak Djokovic et Nick Kyrgios, un spectateur a été expulsé de l'enceinte après avoir crié «Where is Peng Shuai?!»
Cette réaction des organisateurs s'explique aussi par le fait que peu de sports sont aussi étroitement liés à la Chine que le tennis. En 2021, 10 des 54 tournois annuels du circuit WTA se sont déroulés dans ce pays, dont les deux plus importants en-dehors des tournois du Grand Chelem: les Masters de fin de saison à Zhuhai et Shenzhen. Rien qu'à Shenzhen, un milliard de francs devait être investi en l'espace d'une décennie. Le prize money annuel s'élevait à quatorze millions.
La WTA avait alors réagi vigoureusement au cas de Peng Shuai et s'était complètement retirée de Chine. Une décision courageuse, mais qui a été favorisée par la situation pandémique. Ce n'est qu'au début de cette année que la Chine a rouvert ses frontières.
Il s'agit maintenant de savoir si la WTA tiendra parole de ne pas retourner en Chine tant que les accusations de Peng Shuai n'auront pas été examinées par un organisme indépendant ou si elle retournera sa veste, maintenant qu'il y a de nouveau de l'argent à gagner dans ce pays qui compte 1,4 milliard d'habitants.
Le calendrier provisoire se termine en septembre, alors qu'en Asie, on ne joue traditionnellement qu'à partir d'octobre. «Notre position n'a pas changé», a fait savoir la WTA en début d'année.
Concrètement, une enquête et un contact direct avec Peng Shuai sont exigés. Mais la situation n'a pas changé: on a reçu une confirmation que Peng Shuai allait bien, mais personne n'a encore pu la rencontrer personnellement.
Parallèlement, la WTA a exprimé l'espoir de revenir en Chine «sans renoncer à [ses] principes». Ce n'est pas seulement la crédibilité du tennis et le sort de Peng Shuai qui sont en jeu, mais aussi celui de nombreuses femmes en Chine.
Car cette affaire met en lumière un fait sur lequel les autorités chinoises aiment également se taire: la violence envers les femmes. Selon les données de la Fédération nationale des femmes de Chine, une femme est battue par son partenaire toutes les sept secondes. Environ une femme sur quatre subit des violences domestiques.
Le nombre de cas non recensés est probablement bien plus élevé: la peur de subir le même sort que Peng Shuai dans une société patriarcale est trop grande pour parler. Alors c'est aussi pour ces femmes que les militantes se battent à l'Open d'Australie.