Abraham (nom d’emprunt) est prêt. Prêt à raconter comment l'ambassade érythréenne à Genève agit contre les Erythréens de Suisse qui refusent de payer la taxe dite de la diaspora de 2%. C'est avec ce message que l'association des médias érythréens a contacté CH Media (dont watson fait partie). Mais Abraham finit par reculer:
Selon Shalom Habte de la Fédération des médias érythréens, l'histoire d'Abraham peut être racontée même sans contact direct avec lui.
Shalom Habte prend donc le relais. Il explique que même en Suisse, Abraham ne se sent pas en sécurité face au régime du dictateur Isaias Afwerki. Abraham a d'abord obtenu une admission provisoire en Suisse. Lorsqu'il a demandé — avec succès — une autorisation de séjour, il a dû présenter un passeport érythréen aux autorités suisses. Celui qui veut se procurer ce document doit obligatoirement se rendre à l'ambassade érythréenne à Genève.
Le régime profite de cette prise de contact. Il exige notamment que les Erythréens lui versent chaque année 2% de leurs revenus en Suisse — avec effet rétroactif. L'impôt de 2% est une source de revenus lucrative pour l'Etat d'Afrique de l'Est, qui est totalement isolé sur le plan diplomatique, qui souffre économiquement et qui enrôle ses citoyens pour une durée indéterminée dans un soi-disant service national.
Abraham a payé les 2% d'impôt, a obtenu un passeport érythréen et un permis de séjour en Suisse. Mais il a ensuite cessé de payer le régime dictatorial. Sur les réseaux sociaux, il s'est engagé en tant qu'opposant. Tout cela a un prix, comme l'explique Shalom Habte.
Abraham a pris cela comme une menace et a craint que ses proches ne soient arrêtés. Selon les rapports de l'ONU, l'arbitraire et la torture sont monnaie courante en Érythrée. Abraham a de nouveau payé la taxe de la diaspora et a supprimé ses contributions critiques à l'égard du régime sur les réseaux sociaux.
L'histoire d'Abraham est représentative du dilemme auquel sont confrontés les réfugiés érythréens en Suisse. Lorsqu'ils ont besoin de services consulaires, les méthodes du régime dictatorial de leur pays se rappellent à eux. Habte affirme que l'Etat érythréen dispose dans tous les cantons d'une ou plusieurs personnes chargées de collecter les taxes de la diaspora.
Mais il est difficile de le prouver et les chances d'aboutir à une procédure pénale sont faibles. En effet, il y a quelques années, le Ministère public de la Confédération a renoncé à entamer une procédure contre le consul honoraire érythréen à Genève. Il n'a pas trouvé d'indices concrets indiquant que des impôts étaient perçus par son intermédiaire. La remise de bulletins de versement pour cet impôt ne constituait pas un acte interdit en soi.
Récemment, la Fédération des médias érythréens a remis à la Maison des cantons à Berne une pétition à l'attention des autorités cantonales de la migration et a manifesté sur la Place fédérale. La revendication principale: l'obligation de se procurer un passeport érythréen, par exemple en cas de mariage ou de transformation d'une admission provisoire en autorisation de séjour, doit être supprimée — car sinon, les personnes concernées retomberaient dans les griffes du régime et mettraient leurs proches en danger.
L'association de médias se réfère à un jugement du tribunal administratif fédéral allemand qui a jugé inacceptable l'obligation de se procurer un passeport. Shalom Habte demande en outre que la Suisse reconnaisse de manière générale le statut de réfugié aux personnes originaires d'Erythrée au lieu d'accorder à certaines d'entre elles une simple admission provisoire. Les réfugiés obtiennent un statut de séjour sans avoir à demander un passeport à l'ambassade d'Erythrée.
Le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) affirme qu'il s'en tient à la jurisprudence en vigueur du Tribunal administratif fédéral. Celui-ci a constaté à plusieurs reprises que l'on pouvait raisonnablement attendre des personnes admises à titre provisoire en provenance d'Erythrée qu'elles s'efforcent d'obtenir des documents d'origine auprès de la représentation consulaire.
Le Conseil fédéral a confirmé cette position dans sa réponse à une intervention du Parlement. L'Etat d'origine dispose d'une marge de manoeuvre considérable dans l'exercice de sa souveraineté en matière de passeports.
Il est de notoriété publique que le bras long du régime érythréen s'étend jusqu'en Suisse.
La plupart des quelque 50 000 Erythréens vivant en Suisse ont fui la dictature. Mais dans notre pays et en Europe, certains Erythréens soutiennent encore Afwerki. L'été dernier, des affrontements ont eu lieu dans de nombreuses villes d'Europe, y compris à Opfikon, dans le canton de Zurich, entre des Erythréens favorables au régime et des opposants. L'association érythréenne des médias exige des autorités suisses qu'elles interdisent à l'avenir les événements de propagande déguisés en festival organisés par des exilés fidèles au régime.
Traduit et adapté par Noëline Flippe