En Romandie, on connaît le centre de réfugiés de Boudry (NE), synonyme des tensions qui agitent la migration dans le pays. En Suisse alémanique, c'est le nom de Aarwangen qui est parfois évoqué pour parler de la question migratoire. C'est dans cette bourgade du canton de Berne que se trouve ce qu'on appelle «le campement».
Contrairement à Boudry, qui a pour but l'accueil des migrants, ce «centre de retour» est destiné aux déboutés de l'asile qui doivent quitter le Suisse. Les conditions d'hébergement de cet ancien foyer pour garçons reconverti en hub migratoire y sont régulièrement critiquées, outre-Sarine. Même le conseiller d'Etat bernois en charge de la sécurité, le libéral-radical Philippe Müller, le décrit en ces termes:
Conçus comme des hébergements de courte durée avant le départ, les centres de retour deviennent souvent, pourtant, des lieux d'habitation de longue durée. Car certains demandeurs d'asile ne peuvent simplement pas retourner dans leur pays d'origine, celui-ci refusant de leur délivrer les documents de voyage nécessaires. Que ce se passe-t-il avec ces personnes, piégées dans un angle mort du système?
C'est le cas de Haile Weldetnsae. Cet Erythréen dit qu'il préférerait être incarcéré dans une prison — suisse — que dans un centre de retour. Depuis plus de cinq ans, ce prêtre vit avec sa femme et ses trois enfants dans «le campement». La famille survit à cinq dans 20 mètres carrés, soit moins que la taille minimale d'une cellule de prison pour trois personnes, selon les normes internationales.
Les parents n'ont pas le droit de travailler. C'est ce qu'a décidé le législateur: les requérants d'asile déboutés ne peuvent pas être intégrés. Leur quotidien est marqué par l'attente.
Seule l'école, fréquentée par Heran, la fille de neuf ans, et Natnael, le fils de sept ans, leur donne une structure. L'argent, lui, est toujours rare. Comme tous les requérants d'asile déboutés, la famille est exclue de l'aide sociale et reçoit une aide d'urgence: huit francs par jour et par personne.
Pour ne pas perdre ce droit, les membres de la famille doivent confirmer leur présence chaque matin de la semaine au moyen d'une signature. Comme Haile Weldetnsae ne l'a pas fait à deux reprises, il doit aussi signer le samedi pendant trois mois et ne peut plus présider le service religieux au sein de l'église orthodoxe, à laquelle il appartient.
L'«existence conforme à la dignité humaine», telle qu'exigée dans l'article 12 de la Constitution fédérale, est-elle ainsi assurée? Non, estime la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) dans son rapport de 2021. Les critiques à l'encontre de plusieurs centres de retour ne sont pas le fruit du hasard. Le canton de Berne est notamment considéré, outre-Sarine, comme particulièrement strict lorsqu'il s'agit du régime de l'aide d'urgence, tout comme celui de Zurich.
Par exemple, les personnes déboutées ne sont même pas autorisées à faire du bénévolat. Bâle-Ville prouve qu'il pourrait en être autrement. Dans ce canton, les déboutés peuvent s'inscrire à un programme d'occupation de l'aide sociale. Ils reçoivent en outre 12 francs d'aide d'urgence par jour.
Bien que le système d'asile ne prévoie pas qu'une personne perçoive l'aide d'urgence pendant une longue période, la famille Weldetnsae n'est pas un cas isolé, mais la norme. Selon les chiffres du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM), fin 2022, plus de 90% des quelque 2000 personnes enregistrées bénéficiaient déjà de l'aide d'urgence depuis plus d'un an.
Comme les cantons ne peuvent compter sur le soutien financier de la Confédération qu'au début, l'aide d'urgence coûte cher. Rien que pour les cas antérieurs à la révision de la loi sur l'asile de 2019, ils s'élèvent à 800 millions de francs par année.
Le Conseil national estime qu'il faut agir. En mars, il a approuvé une motion de l'ancienne conseillère nationale Marianne Streiff-Feller (Parti évangélique/BE). Elle a requis une «action humanitaire extraordinaire». Les personnes concernées devraient avoir la possibilité unique d'obtenir un statut de séjour régulier.
Il s'agirait de la première action de régularisation à l'échelle de la Suisse depuis 2000, lorsque près de 16 000 personnes, pour la plupart originaires du Sri Lanka et de l'ex-Yougoslavie, ont obtenu une admission provisoire. Toutefois, l'amnistie ne s'appliquerait qu'aux personnes qui ont déposé leur demande d'asile dans le cadre de l'ancienne procédure, avant 2019.
Le régime de l'aide d'urgence pour les demandeurs d'asile déboutés est devenu une «injustice structurelle», argumente-t-elle. Car ceux-ci n'ont aucune possibilité d'influencer leur pays d'origine, qui leur refuse des visas de retour. Pour les demandeurs d'asile tibétains d'Inde ou du Népal, par exemple, le retour est pratiquement exclu.
Malgré cela, l'idée n'a pas pris son envol. La Commission des institutions politiques du Conseil des Etats a plaidé en faveur d'un rejet, qui a été suivi par la Chambre haute mardi, par 30 voix contre 12. Comme souvent, c'est le Centre qui a fait pencher la balance. Contrairement à celle du Conseil national, la délégation centriste au Conseil des Etats s'est montrée très sceptique à cette idée.
La crédibilité du système d'asile est en jeu, avait d'ailleurs souligné le conseiller aux Etats Stefan Engler (Centre/GR). «Dans certains cas, une décision négative peut être tragique. Mais nous ne faisons pas de législation au cas par cas.» Accepter le texte enverrait un mauvais signal, a également estimé Thomas Hefti (PLR/GL), au nom de la commission.
Des exceptions dans des cas de rigueur sont déjà prévues, a affirmé la ministre de la Justice Elisabeth Baume-Schneider, qui a elle plaidé pour une analyse individuelle des cas particuliers plutôt que pour une régularisation collective.
Pour la gauche, il s'agissait au contraire de donner une chance aux personnes concernées, qui sont de toute façon présentes sur le territoire suisse, de s'intégrer sur le marché du travail tout en faisant économiser aux cantons les coûts liés à l'aide d’urgence.
Revenons au cas de Haile Weldetnsae: pourquoi ne peut-il pas rentrer en Erytrée avec sa famille? Il explique qu'il serait politiquement en danger s'il retourne au pays. Le régime érythréen a mis son père en prison, et Haile Weldetnsae s'était justement enfui au Soudan avec son frère, avant de se mettre en route pour l'Europe. Sa femme et sa fille l'ont rejoint sur le chemin de l'exil.
Il se souvient parfaitement du jour où ils sont arrivés en Suisse. «C'était le 14 septembre 2015, un lundi. Nous pensions que nous allions enfin pouvoir mener une vie libre.» Le coup a été rude lorsque le SEM a rejeté leur demande d'asile, dont les raisons précises restent d'ailleurs floues.
D'autant plus que son frère, arrivé en Suisse quelques mois avant la famille Weldetnsae, a raconté exactement la même histoire et a reçu une décision d'asile favorable pour lui et sa famille. Pour des raisons de protection des données, le SEM a refusé de prendre position sur ce cas individuel. Mais selon Haile Weldetnsae, l'interprète érythréen qui a traduit son exposé a eu une influence déterminante. Il ne les a pas crus et aurait exprimé des doutes quant à leur histoire.
Haile Weldetnsae se rend douloureusement compte à quel point le bonheur est proche chaque fois que sa famille rend visite à frère.
Traduit et adapté par Noëline Flippe et Alexandre Cudré