«Il y a deux ans, le Conseil fédéral a déclaré la situation extraordinaire. Aujourd'hui, le 16 février 2022, exactement 23 mois après, le Conseil fédéral révoque la majorité des mesures en vigueur.» C'est par cette déclaration d'Ignazio Cassis, président de la Confédération, que commence la conférence de presse annonçant la fin des mesures Covid. Le moment est solennel et il est attendu par tous les Suisses. watson a demandé à Gilles Merminod, linguiste à l'Université de Lausanne, d'analyser et de décrypter le discours de nos conseillers fédéraux en ce jour mémorable.
C'est moi ou cette conférence de presse ressemble aux autres?
Gilles Merminod: C'est vrai. Il y a un «air de famille», mais cela est probablement lié à une certaine humilité de la part des Conseillers fédéraux. Contrairement à la terminologie guerrière utilisée par le Président français Emmanuel Macron au début de la crise, Berset et Cassis ne se sont pas aventurés dans le lexique de la bataille.
Il n'y a donc aucune solennité pour cet instant?
Bien sûr, le moment solennel est bien là et il est même souligné par la posture narrative qui est utilisée autant par Cassis que par Berset. L'immobilité des deux conseillers fédéraux durant toute la conférence montre aussi la solennité de cet instant. Au niveau du discours, ils commencent par rappeler et poser le cadre initial de la crise en disant «il y a deux ans», avant d'en arriver au fameux «Aujourd'hui». La solennité du discours est là. Le lexique utilisé par les deux ministres est celui de la continuité. On parle de dynamique positive et d'évolution positive de la situation, on ne dit pas que la crise est finie. Ils soulignent que c'est un processus, et que s’il n’est pas encore terminé, la phase aiguë semble être derrière.
On peut donc clore le chapitre Covid et passer à autre chose?
Justement pas. C'est là qu'on voit la finesse de leur communication. En employant des termes de «dynamique», de «direction», de «progression», ils montrent qu'il s'agit d'un processus en cours, d'ailleurs l'un des deux le dit : «Nous entrons dans une phase de transition». Ce qu'il faut comprendre, c'est que la crise n'est pas finie, elle a évolué. En effet, après avoir annoncé la révocation des mesures, Ignazio Cassis va répéter plusieurs fois des marqueurs de concession comme le mot «mais». Cela signifie que malgré la bonne nouvelle, il faut rester prudent face au virus.
Il ne faut donc pas se réjouir trop vite?
Tout à fait. J'ajouterai aussi qu'Alain Berset a utilisé une figure de style appelée anaphore rhétorique, vous la connaissez par le biais de François Hollande et de son fameux «moi président». L'anaphore rhétorique est une répétition de la même expression qui va donner une emphase ou un certain pathos au discours. Il va répéter les termes comme «cela signifie que» et «nous pensons à». Cela participe probablement à donner un ton solennel à son propos.
Selon Ignazio Cassis, «Pas de liberté sans responsabilités», ça ressemble au mantra de Spiderman non?
En tant que journaliste, cette phrase vous a marqué, mais ce qui est intéressant pour le linguiste que je suis, c'est la première partie de la phrase qui dit: «Nous récupérons notre liberté, mais il n'y a pas de liberté sans responsabilités».
On pourrait penser que cette phrase comme celle d'Alain Berset «Il faut agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire» est une sorte de slogan que les communicants de la Confédération ont mis en place. Est-ce que c'est une formule toute faite pour les journalistes, ce qu'on appelle le «prêt à dire» qui est parfois repris tel quel dans les articles ou est-ce qu'elle est apparue spontanément? Je ne le sais pas. Ce qu'il faut retenir c'est la volonté du Conseil fédéral de vouloir nuancer son discours.
Entre Cassis et Berset, qui a réussi cet exercice de style?
Alain Berset a beaucoup d'expérience et il semble plus rompu à l'exercice que Cassis. Il a mieux transformé l'essai, si vous me permettez cette expression mais, en termes de gestion des langues, Cassis a montré beaucoup de dextérité en s'adressant aux différentes parties de la population. C’est un joli tour de force.