En février 2014, un tremblement de terre politique s'est produit en Suisse. Les électeurs ont dit oui de justesse à l'initiative de l'UDC contre l'immigration de masse. C'était l'expression d'un ras-le-bol face à la forte immigration. C'était aussi la sanction pour les milieux politiques, médiatiques et économiques qui avaient passé sous silence et minimisé ses «dommages collatéraux».
Depuis, il ne s'est pratiquement rien passé. L'initiative a été mise en œuvre avec une variante diluée appelée «priorité aux indigènes light». Les protestations sont restées limitées, bien que la libre circulation des personnes avec l'UE ait continué à attirer de nombreux intéressés dans le pays. Une construction de logements en plein essor a pu absorber la croissance démographique.
L'UDC a tenté de continuer à gérer le thème de l'immigration, avec peu de succès. En septembre 2020, son initiative de limitation, en fait une initiative de mise en œuvre de la demande populaire de 2014, a été coulée par plus de 60% de non. Mais maintenant, tout indique que le débat sur l'immigration est de retour après quelques années de calme relatif.
La SonntagsZeitung a consacré un point fort à ce sujet dans sa dernière édition. En effet, la Suisse devrait compter 9 millions d'habitants dès 2023, soit deux ans plus tôt que les prévisions de l'Office fédéral de la statistique. Outre les réfugiés d'Ukraine, le recrutement continu de main-d'œuvre est responsable de cette situation.
L'UDC, souvent malchanceuse ces derniers temps, flaire sa chance en cette année électorale 2023. Lors de sa réunion annuelle des cadres qui se tiendra à la fin de la semaine à Bad Horn (TG), elle veut lancer une nouvelle initiative sur l'immigration, sous le titre prétentieux d’«initiative pour la durabilité». Ce faisant, l'Union démocratique du centre poursuit son objectif éternel: la résiliation de l'accord sur la libre circulation des personnes.
Du vieux vin dans de nouvelles outres? C'est ce qu'il semble, mais avec le thème de la durabilité, l'UDC touche un point sensible. La Suisse est un petit pays dont la surface constructible est encore limitée par la topographie. Une population toujours plus importante représente un défi pour l'agriculture et la protection de la nature, en particulier pour la biodiversité.
Par ailleurs, il existe au moins deux autres raisons de jeter un regard critique sur la forte immigration. Jusqu'à présent, la volonté de le faire est toutefois limitée.
Au cours des 30 dernières années, la population suisse a augmenté de plus de 25 pour cent. On présente volontiers ce phénomène comme la conséquence inévitable d'une économie florissante. Elle a surtout connu une croissance considérable depuis l'an 2000 — du moins sur le papier. Mais à y regarder de plus près, tout ce qui a brillé n'était pas en or.
Les salaires réels, par exemple, n'ont pas suivi le rythme de la croissance. Cela n'est guère étonnant, car l'économie a progressé parallèlement à la population. La Suisse a connu une croissance quantitative, mais guère qualitative sous la forme d'une productivité plus élevée. Ou, pour le dire simplement, l'économie s'est développée parce que de plus en plus de gens dépensent de l'argent.
Une étude de la Banque cantonale de Zurich (ZKB) vient étayer ce constat. Selon cette étude, le produit intérieur brut (PIB) par habitant n'a augmenté que de 29% en Suisse au cours des 30 dernières années. L'Allemagne arrive à 36% et même le Japon, qui se trouve depuis 30 ans dans une phase de reptation, a connu une croissance par habitant de 20 pour cent.
«Depuis des années, la Suisse croît principalement en largeur», conclut la NZZ. Donc quantitativement. Dans une interview accordée au SonntagsZeitung, l'historien de l'économie Tobias Straumann a tiré une conclusion drastique: «On fait venir plus de gens que ce dont on a effectivement besoin». Selon lui, c'est surtout le secteur étatique et proche de l'Etat (hôpitaux, écoles, transports publics, etc.) qui en est responsable.
L'augmentation de la demande d'infrastructures et de services due à l'immigration provoque «automatiquement une nouvelle pénurie de main-d'œuvre qualifiée», selon Straumann. Au final, il s'agit d'un jeu à somme nulle: «Nous avons certes le plein emploi, une économie stable et une croissance, mais la prospérité par habitant n'augmente que lentement et ne profite de loin pas à tous».
La maison individuelle avec terrain est une forme d'habitat écologiquement discutable mais, pour beaucoup de gens, elle représente la réalisation de leur rêve de prospérité. Mais pour les revenus normaux, elle est plutôt devenue un traumatisme, sauf s'ils ont beaucoup de chance ou de vitamine B. Et même pour les appartements en propriété, la situation est de plus en plus difficile en Suisse.
«80% des personnes qui souhaitent devenir propriétaires en Suisse ne peuvent pas — selon leurs propres dires — se le permettre», lit-on dans une étude de l'Office fédéral du logement. La raison en serait des prix trop élevés et un patrimoine trop faible. Ils souhaitent «que l'acquisition d'un logement soit davantage encouragée».
Les experts font toutefois remarquer que toute mesure visant à encourager l'accès à la propriété fait encore grimper les prix. En effet, les terrains à bâtir sont rares en Suisse et les réserves continuent de fondre avec l'immigration. Et un mitage accru du Plateau n'est souhaitable ni sur le plan écologique ni sur le plan politique.
Il peut en résulter un ressentiment envers les immigrés. Ce sont surtout les travailleurs qualifiés qui gagnent bien leur vie qui sont perçus comme une concurrence. Et même dans le domaine des logements locatifs, une aggravation se prépare. La dernière étude immobilière du groupe Raiffeisen porte un titre évocateur: «Inéluctablement vers la pénurie de logements».
«L'activité de construction de logements a entre-temps atteint un niveau dangereusement bas», écrivent les auteurs autour de l'économiste en chef Martin Neff. Les prix extrêmement élevés des terrains à bâtir, la rigidité des règlements de construction et de zone ainsi qu'une «population extrêmement encline à s'exprimer» en sont responsables. Conclusion:
En cherchant un logement abordable, surtout dans les centres-villes, on s’en rend très vite compte. Avec une croissance démographique soutenue, le problème va s'aggraver. Selon l'étude de Raiffeisen, les temps seront durs pour les locataires. Les loyers risquent d'augmenter jusqu'à 10 pour cent d'ici 2024.
Il y a là une matière inflammable considérable, tant sur le plan politique que social, surtout si le chat continue à se mordre la queue: de plus en plus de personnes ont des besoins toujours plus importants, ce qui déclenche une immigration supplémentaire. Mais de larges pans de la politique, de la gauche au centre-droit, et de l'économie pratiquent la politique de l'autruche, comme avant 2014.
Le coprésident du PS de la ville de Zürich fait partie des rares exceptions. Il veut réduire les fonds destinés à la promotion économique et freiner la croissance de l'aéroport. La réaction de la présidente de la ville, Corine Mauch, a été typique: «La suppression de cette contribution ne permettrait plus de construire un logement bon marché», a-t-elle déclaré au Tagesanzeiger.
Son rédacteur en chef a qualifié cette exigence de «vision naïve et provinciale» dans un commentaire. Zürich se trouve dans une situation de concurrence acharnée avec d'autres agglomérations. La devise devrait être: «Ne pas freiner la croissance, mais l'orienter». Il n'explique pas comment cela peut se faire au vu de l'essoufflement de la construction de logements.
Ce refus de la réalité ne profitera qu'à l'UDC et lui permettra de faire un bon coup électoral. Pourtant, avec son idéologie néolibérale de taxation basse, elle est elle-même un moteur massif de l'immigration. Dans d'autres pays, en revanche, le débat sur l'immigration est mené ouvertement, comme par exemple aux Pays-Bas, qui connaissent également un succès économique.
Ils sont à peu près aussi grands que la Suisse, mais comptent deux fois plus d'habitants. Comme le pays est plat au bord de la mer du Nord, on pouvait jusqu'à présent s'en accommoder. Mais de nombreuses personnes commencent à en avoir assez. L'automne dernier, une série documentaire intitulée «Nederland is vol» (Les Pays-Bas sont pleins) a été diffusée à la télévision.
Même le journal économique Financial Times a estimé que les Pays-Bas étaient probablement «le premier pays à avoir atteint les limites de la croissance». Chez nous, un tel débat n'a même pas lieu. Tobias Straumann, par exemple, ne croit pas que «le taux d'immigration élevé de la Suisse soit économiquement sans alternative».
Il cite comme contre-exemple le Danemark, un pays avec une politique d'immigration restrictive et une croissance démographique modérée. Pourtant, les Scandinaves figurent en bonne place dans presque tous les indicateurs économiques pertinents. Mais la Suisse s'accroche à l'idée que seule l'immigration garantit le succès économique.
L'UDC pourrait donc figurer parmi les vainqueurs des élections d'octobre, sans avoir à faire grand-chose pour cela. Et une répétition du résultat de 2014 devient non seulement possible, mais probable.