Après quelques années de calme relatif, l'immigration redevient un sujet de préoccupation en Suisse. La barre des neuf millions d'habitants devrait bientôt être dépassée. C'est aussi, mais pas seulement, à cause des réfugiés venus d'Ukraine. Pourtant l'économie et le secteur tertiaire public se plaignent d'une pénurie de main-d'œuvre qui s'aggrave.
Qui n'a pas eu affaire à des restaurants qui ont dû limiter leurs heures d'ouverture ou fermer leurs portes par manque de personnel? La situation est également difficile dans les hôpitaux, où des unités de lits entières sont fermées. L'Union patronale suisse (UPS) prévient que la pénurie de main-d'œuvre reste «aiguë» malgré le ralentissement économique.
Les prévisions économiques ne sont guère enthousiasmantes. Dans ce cas, on assiste souvent à des suppressions de postes. Mais aujourd'hui, même les postes vacants ne peuvent souvent être repourvus qu'avec difficulté, a-t-on appris lors de la présentation du baromètre de l'emploi de l'UPS, mardi, à Zurich. Le directeur Roland Müller a déclaré:
Les entreprises tentent encore de s'en sortir avec l'immigration en provenance de pays européens via la libre circulation des personnes avec l'Union européenne (UE). Cela a des effets secondaires indésirables, car en même temps, l'activité de construction de logements faiblit. La menace de pénurie de logements, contre laquelle une étude de Raiffeisen avait déjà mis en garde l'année dernière, est de plus en plus reconnue comme un problème.
Le ministre de l'Economie Guy Parmelin a mis en garde dans la SonntagsZeitung contre les tensions sociopolitiques «si les loyers augmentent et que les personnes aux revenus modestes ne trouvent plus de logement». Par ailleurs, même les personnes qui gagnent bien leur vie ont de plus en plus de mal à trouver un logement dans les grandes villes, pouvait-on lire, mardi, dans les journaux de Tamedia.
Cette situation apporte de l'eau au moulin de l'UDC qui, en cette année électorale, tente de gérer le thème de l'immigration, notamment avec une nouvelle initiative populaire prévue. Mais à plus long terme, un renversement de tendance se dessine. Comme la population vieillit dans toute l'Europe, l'immigration risque de se tarir en tant que source de main-d'œuvre.
Hendrik Budliger, fondateur du centre de compétences démographiques de Bâle, a mis en garde contre ce scénario mardi. Dans la SonntagsZeitung, il avait déjà douté que le chiffre de dix millions de Suisses, pronostiqué par l'Office fédéral de la statistique (OFS) et dénoncé par l'UDC, soit un jour atteint.
En effet, la Suisse ne connaît pas seulement une forte immigration. L'émigration a également tendance à augmenter depuis des années, ce qui «n'est que trop peu discuté», selon Budliger. Face à leur problème démographique, de plus en plus de pays s'efforcent de conserver leur main-d'œuvre ou de l'attirer chez eux. Hendrik Budliger a cité le Portugal comme exemple.
Dans l'esprit de nombreuses personnes, le Portugal est un pays d'émigration pauvre. La réalité est différente. Budliger déclare:
C'est pourquoi le solde migratoire de la Suisse avec le Portugal est devenu négatif dès 2019. Ce ne sont pas seulement les retraités qui rentrent au pays, mais aussi les familles avec leurs enfants.
«Nous perdons des travailleurs et des contribuables», a déclaré Budliger. C'est également le cas dans d'autres pays. L'Italie, par exemple, fait beaucoup pour retenir et faire revenir sa main-d'œuvre:
On constate la même chose en Allemagne. «Même les Allemands naturalisés en Suisse rentrent au pays», a déclaré Simon Wey, économiste en chef de la FSA, à watson.
L'Office fédéral de la statistique fait référence au niveau des salaires nettement plus élevé qu'à l'étranger pour justifier son scénario de dix millions de personnes. Hendrik Budliger relativise:
Ce qui est décisif, c'est le paquet global, et sur ce point, la Suisse a de moins en moins d'avantages. L'augmentation des loyers devrait renforcer le problème.
Mais que peut faire la Suisse contre la pénurie de main-d'œuvre? Une immigration accrue en provenance de pays étrangers, qui fait l'objet d'un débat en Allemagne, est peu réaliste au regard de l'UDC. C'est pourquoi l'Union patronale souhaite agir sur le temps de travail effectué. Elle déclare la guerre aux «mini-travaux» de moins de 40%.
Le directeur Roland Müller a formulé trois points:
En Suisse, la garde des enfants doit le plus souvent être payée par les parents eux-mêmes, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux autres pays. Un bon exemple est la France, qui a de meilleures prévisions démographiques que d'autres, notamment en raison des structures d'accueil développées et financées par l'Etat. Pour Roland Müller, il est clair que les contributions des parents doivent être réduites.
Toutefois, en Suisse, nombreux sont ceux qui travaillent à des taux d'occupation minimaux parce qu'ils peuvent se le permettre. «Nous avons une grande prospérité», a reconnu Müller. Il comprend le souhait d'un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, y compris chez les hommes. C'est pourquoi il faut aménager les conditions-cadres de manière à ce que les augmentations de temps de travail en valent la peine.
Outre le développement de l'accueil des enfants, les employeurs estiment que l'imposition individuelle doit faire partie de ces mesures. Dans les deux cas, une opposition de l'UDC est prévue. A l'UPS, on ne se fait pas d'illusions sur la volonté de l'UDC d'exploiter le thème de l'immigration en cette année électorale, alors que le parti n'a pas de solutions à apporter à la réelle pénurie de main-d'œuvre.