C’était dans l’air. Une réaction hostile au «oui» attendu et confirmé dimanche à la révision de la loi Covid était prévisible. Non pas comme une marque de déception, mais comme un refus du résultat. La riposte la plus désinhibée est venue sans surprise des rangs complotistes, le jour même de la votation, notamment à Lausanne, comme l’ont constaté nos confrères de Blick.
Rassemblés place de la Riponne, ces «mauvais perdants», comme on les appelle avec un reste d'espoir, ont argué de fraudes via le vote par correspondance. Indignée, La Poste a vivement réagi, n’excluant pas des poursuites pour diffamation.
On ne se souvient pas d’une mise en cause aussi radicale, plus que d’un scrutin, de la démocratie directe en tant que telle. Pour la première fois, la Place fédérale, à Berne, lieu de l’entente tacite entre les Suisses, était fermée un dimanche de votation par crainte de débordements. En Suisse alémanique, le mouvement Mass Voll, opposé aux mesures sanitaires, a rejeté la validité du scrutin, faisant valoir des «irrégularités sans précédent». De son côté, l’Alliance des cantons primitifs a estimé que cette votation enfreignait la Constitution.
Si les passes d’armes avant une votation sont la règle, si le mécontentement au soir d’un résultat est quelque chose d’inévitable, la contestation de celui-ci est proprement nouvelle en Suisse. Et cela nous met, si l’on veut bien, au niveau de cette partie de l’Amérique emmenée par Donald Trump, dont la principale caractéristique est sa défiance envers les institutions. Une frange des Suisses, on s’en était aperçu ces derniers mois à la faveur de la crise covidaire, se trumpise.
A ce phénomène, un terreau favorable. Et à tout seigneur, tout honneur: le récit fondateur de la Suisse, celui d’une souveraineté construite contre la figure de l’Etat complexe incarnée par les Habsbourg. Cet Etat complexe, aujourd’hui, c’est la Berne fédérale.
Le point de vue de Ioannis Papadopoulos, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne:
A la suite de quoi, on pourrait dire qu’il y a en Suisse un trumpisme culturellement et territorialement situé. Celui de la Suisse dite primitive, où l’on compte les proportions de populations les moins vaccinées et où l’opposition aux mesures sanitaires des pouvoirs publics s’est particulièrement manifestée ces vingt derniers mois.
«Cette Suisse du refus, c'est celle des cantons traditionalistes, qu’on qualifiait autrefois de Neinsager», constate Ioannis Papadopoulos. De la même manière qu’on a longtemps voté «non» à l’assurance-maternité, on y a combattu la vaccination anti-Covid, au motif que l’Etat n’a pas à s’immiscer dans le corps des individus, dans un cas comme dans l’autre.
A ce trumpisme enraciné en répond un autre, déraciné. Celui des régions urbaines et de la vision complotiste soupçonnant un vote frauduleux dimanche 28 novembre à la Riponne à Lausanne, par exemple. «Pour spectaculaire qu’il soit, ce discours ne prend pas largement au sein de la population, il représente peu de monde», estime Ioannis Papadopoulos.
Enfin, il y aurait un trumpisme de gauche ou d’extrême gauche, entre autres, chez les écologistes. Où l’«ennemi» prendrait le visage des «pharmas», mastodontes capitalistes et parfaits pollueurs… «A noter que l’écologie, à l’origine, a été portée, surtout en Suisse alémanique, plutôt par la droite. D’où une certaine méfiance vis-à-vis de la science», rappelle le politologue lausannois. On retrouve là la veine romantique germanique faisant des éléments naturels des forces indépassables.