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Elevage intensif en Suisse: la vidéo d'un poulailler choque

La vidéo d'un poulailler suisse choque: la profession contre-attaque

A un mois de la votation «contre l'élevage intensif», une vidéo tournée clandestinement dans un poulailler vaudois entend dénoncer par des images-chocs les conditions d'engraissement des volailles. Des éleveurs s'insurgent.
26.08.2022, 06:2026.08.2022, 08:45
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En période électorale, on appelle ça une boule puante. Des «révélations» censées mettre en difficulté l’adversaire. La présente boule est une vidéo-choc publiée à un mois de la votation du 25 septembre sur l’initiative populaire «Non à l’élevage intensif». Sujet sensible, où se mêlent l’affection qu’on porte de manière générale aux animaux et le sort fatal qu’on réserve à certains d’entre eux en vue de les manger.

Vidéo: watson

Derrière la mise en ligne de cette vidéo, l’association romande Pour l’égalité animale (PEA), spécialisée dans la diffusion d'images dénonçant des conditions d’élevage ou d’abattage déplorables. Le 24 août, comme l’a révélé 24 Heures, ce mouvement antispéciste (opposé à la consommation de produits carnés) a publié sur son site une vidéo tournée clandestinement dans un élevage vaudois de poulets. Le nom de l’éleveur n’est pas révélé, mais en visionnant les images, on apprend qu’il travaille pour Micarna, l’entreprise de transformation de viande de la Migros.

Des volailles déplumées, d’autres mortes, d’autres encore claudicantes: en pleine campagne référendaire, l’impression renvoyée par cette vidéo n’est pas bonne, pour rester sobre.

L’Association suisse des producteurs de volaille (ASPV) l’assure pourtant sur son site:

«La volaille suisse est élevée selon les normes respectueuses des animaux. En Suisse, la loi sur la protection des animaux est la plus stricte au monde»

Le but poursuivi par les militants de PEA, qui ont diffusé la vidéo transmise par un «lanceur d’alerte», est de convaincre le public du contraire. Pour eux, les images de cet élevage vaudois de poulets attestent, au bas mot, d’un mal-être animal. Aussi, bien qu’antispécistes, soutiennent-ils l’initiative «contre l’élevage intensif», laquelle entend non pas interdire l’abattage des animaux de boucherie, mais améliorer leur «bien-être» au cours de leur période d'engraissement.

En tant qu’éleveur de poulets et président de l'association des producteurs de volailles de Micarna (Migros), le Vaudois Jean-Daniel Staub, peut se sentir doublement stigmatisé par la vidéo-pirate – qui, précisons-le, n’a pas été tournée dans son exploitation. L’homme, joint par watson, est remonté contre les activistes de PEA:

«Ils veulent démonter notre production avec des mensonges. Une honte !»
Jean-Daniel Staub

Quels «mensonges»? «Cette vidéo clandestine a été manifestement tournée la nuit, poursuit Jean-Daniel Staub. Elle peut laisser croire que nos volailles vivent dans le noir et qu’elles sont en permanence amorphes. Mais la nuit, elles dorment! De jour, la situation est tout autre. Elles ont accès à un jardin d’hiver, soit un espace ouvert sur l’extérieur, grillagé pour les protéger des prédateurs. Fermé la nuit, mais il m’arrive de le laisser ouvert, il augmente en journée d’environ un tiers l’espace dévolu à l’élevage.»

35 jours de vie

Il n’empêche: dans cette vidéo, on voit des poulets morts, d’autres en partie déplumés. «Oui, il y a de la mortalité dans un élevage, entre 1% et 2% du total, principalement chez les jeunes, reprend Jean-Daniel Staub. Ceux dont certaines parties du corps n’ont pas de plumes, c’est parce que leur croissance n’est pas terminée.»

Les poulets aperçus dans la vidéo, comme ceux qui sont élevés par Jean-Daniel Staub, ont une durée de vie de 35 jours. C’est le lot d’environ 80% des poulets produits en Suisse, livrés à la grande distribution (79 millions de volailles ont été abattues en Suisse en 2021). Un élevage ne peut pas compter plus de 24 000 poulets. L’espace vital à respecter est de 30 kilos par mètre carré, soit, par exemple, quinze poulets de 2 kilos pour une telle surface.

«Une feuille A4 par animal»

«Une feuille A4 par animal», fustige l’association PEA, qui déplore un «entassement». «Là encore, c’est mensonger», réplique Jean-Daniel Staub, dont l’élevage se répartit en deux halles, l’une de 4000 poulets, l’autre de 8000.

«La journée, nos poulets bougent, vont et viennent entre la halle d’élevage proprement dite et le jardin d’hiver. Ils disposent en plus, à l’intérieur de la halle, d’une surface surélevée équivalente à 20% de la surface au sol, ce qui leur permet de faire de l’exercice. Leur nourriture, un mélange de céréales, sans aucune farine animale, est de qualité et suit scrupuleusement les directives de la Confédération.»
Jean-Daniel Staub

Sollicité par watson au sujet de la vidéo mettant en cause un élevage vaudois, le vétérinaire de l’Etat de Vaud, le Dr Giovanni Peduto, a répondu par e-mail: «Il m’est difficile d’émettre un avis pertinent sur les conditions de détention ou de management (réd: de cet élevage) sans avoir une vue d’ensemble des locaux, des éventuelles surfaces extérieures (qui sont présentes dans la majorité des poulaillers en Suisse) et des données d’exploitation, ce d’autant plus que les images sont prises probablement de nuit, que les animaux sont certainement surpris par l’intervention et que cela les incite à s’agglutiner.

Il ajoute:

«Je peux cependant dire que l’occupation des surfaces est très précisément normée dans la législation. Bien que l’absence d’accès à l’extérieur ne soit pas constitutive d’une infraction, la majorité des élevages disposent d’un accès à l’extérieur ou à un jardin d’hiver augmentant ainsi les surfaces mises à disposition des animaux. Sur les périodes d’engraissement également, il peut y avoir des processus beaucoup plus extensifs. La période d’engraissement s’en trouve ainsi rallongée de manière significative. Finalement, on relèvera, que la tendance est de construire des poulaillers de faible capacité. Ainsi, trois-quarts des poulaillers construits ces dernières années dans le canton comportait un effectif de 2000 animaux ou moins.»
Dr Giovanni Peduto, vétérinaire cantonal vaudois

La réaction de Migros

Quant à la société Migros, dont le nom de l’entreprise Micarna apparaît dans la vidéo, elle réagit par la voix de son porte-parole Tristan Cerf, dans un courriel également: «Migros ne commente pas cette vidéo publiée dans le cadre de la votation sur l’élevage intensif. Ses auteurs semblent préciser que le fournisseur respecte les directives concernant son type d’exploitation.» Micarna fournit la gamme Optigal de Migros.

Dans sa réponse, le vétérinaire cantonal vaudois semble indiquer qu’une inflexion est en cours dans le mode d’élevage des volailles vaudoises, du moins en ce qui concerne le nombre d’animaux par exploitation.

Bien-être, qualité de la viande et pouvoir d'achat

La problématique du bien-être animal, qui semble ici centrale, ne peut sans doute pas faire l’économie d’un questionnement sur le mode de production et les habitudes de consommation, pour partie dictées par le pouvoir d’achat. Un poulet produit en 35 jours coûte moins cher, mais il n’a pas non plus la qualité d’un poulet élevé en 51 jours, ou en 65 jours pour la norme bio. Les chairs n’ont pas la même texture.

Eleveur également dans le canton de Vaud, Daniel Schwager produit des poulets de 51 jours, de la norme intermédiaire IP (pour production intégrée). Ses 16 000 volailles disposent d’une surface fermée de 800 mètres carrés, complétée d’un jardin d’hiver faisant 120 mètres carrés et d’un pâturage de 1600 mètres carrés où les poulets sont amenées de jour lorsque le temps le permet.

«Il aurait dû retirer de son élevage les poulets blessés»

Daniel Schwager a pour clients des artisans bouchers, ainsi que Manor Food. Il a vu la vidéo mise en ligne par les antispécistes:

«Il est évident que ces images ont été tournées de nuit, de jour rien n’est pareil, observe-t-il à son tour. Ce que je constate, c’est que ces poulets ont un plumage propre. On y voit des poulets morts dans des bassines, mais cela ne renseigne en rien sur le taux de mortalité, qui peut atteindre 3% à 4% dans les exploitations élevant des volailles de 35 jours. Le taux de mortalité chez ceux que je produis se situe entre 1% et 2%. Le reproche que je pourrais adresser à ce producteur, c’est de ne pas avoir retiré de son élevage les poulets blessés, mais, là encore, il est possible qu’il ne s’en soit pas aperçu.»
Daniel Schwager

Les éleveurs de volailles abordent avec une certaine appréhension la votation du 25 septembre «contre l'élevage intensif». Son acceptation obligerait à une refonte de la profession. Les surfaces d'exploitation devraient être augmentées pour diminuer leur densité, mais le terrain disponible en Suisse est compté.

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Video: watson
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