Le 31 octobre dernier, Jonathan Kreutner, le secrétaire général de la Fédération des communautés israélites de Suisse (FSCI), adressait un courriel à l’Union des villes suisses, qui regroupe 134 localités. Dont Payerne, la commune vaudoise placée depuis dix jours sous les feux de l’actualité pour des tags racistes et antisémites.
Il était proposé aux destinataires de l'e-mail de participer à la commémoration des 80 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau à la date du 27 janvier 2025. Les communes sollicitées étaient invitées à illuminer leur façade d’hôtel de ville tout en faisant apparaître l’inscription «We remember», «un signe silencieux contre la haine et l'exclusion et en souvenir d'un des chapitres les plus sombres de l'histoire européenne».
Une dizaine de jours plus tard, le 11 novembre, le syndic de Payerne, Eric Küng, qui a depuis quitté ses fonctions, répondait à Jonathan Kreutner au nom de tout le conseil municipal. Dans sa lettre, dont watson a pris connaissance, le syndic informait le secrétaire général de la FSCI de la décision de sa commune de «ne pas entrer en matière concernant [la] demande d’illumination».
L'édile payernois donnait les raisons de son refus.
Contacté par watson, Jonathan Kreutner confie avoir été surpris par cette réponse, qu’il a trouvée à l'époque «un peu bizarre et manquant de sensibilité». Si une quinzaine de communes se joignait à l’acte commémoratif, dont Genève, Lausanne, Yverdon, Fribourg et Moutier, la très grande majorité s’abstenait de le faire, sans fournir d’explications ou indiquant ne pas disposer de la logistique permettant de réaliser une illumination de façade.
La réponse de Payerne avait le mérite d’être argumentée, mais pourquoi la municipalité broyarde invoquait-elle «le principe de neutralité politique et religieuse» pour décliner l’invitation? Ayant eu connaissance de l’échange de courriers entre la FSCI et la commune vaudoise, le président de la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud (CILV), Elie Elkaïm, s’étonnait des termes choisis par la municipalité payernoise.
Le 4 février, dans une lettre adressée à cette dernière, Elie Elkaïm rappelait que la date du 27 janvier «a été retenue par l’Organisation des Nations unies pour se souvenir de la Shoah, mais, au-delà, comme la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité».
Le président de la CILV ne cachait pas son irritation:
Elie Elkaïm en venait alors au fait. C’était un mois et trois jours avant l’apparition des tags racistes et antisémites sur des vitrines d'un certain nombre de commerces lors des Brandons de Payerne.
Le président de la CILV fait ici allusion à l’assassinat en 1942 à Payerne du marchand de bétail Arthur Bloch, tué parce qu’il était juif. Ses bourreaux avaient placé son corps découpé en morceaux dans des boilles à lait avant les immerger dans le lac de Neuchâtel.
Nous avons tenté de joindre sans succès l’ancien syndic de Payerne, le socialiste Eric Küng. Agé de 67 ans, il appartient à l’«ancienne génération, celle qui ne veut pas rouvrir cet épisode honteux, au motif que cela ferait du mal aux descendants des meurtriers d’Arthur Bloch», explique-t-on dans la commune broyarde de 10 000 habitants.
Mais voilà que ce passé qu’il ne faudrait pas rouvrir a été rouvert par ceux-là-mêmes qui souhaiteraient prétendument le garder fermer. Les tags antisémites qui, sous couvert d'humour, ont visé un commerçant juif installé à Payerne depuis quatre générations, ont quelque chose de l’histoire qui vomit ses tripes.
Sur un plan tout à fait actuel, la municipalité payernoise, en invoquant le «principe de neutralité politique et religieuse» dans sa réponse à la FSCI, semble soucieuse de ne pas alimenter une possible concurrence victimaire, à Payerne même, où la population est composée comme ailleurs de nombreuses origines, mais certainement de très peu de juifs. Ce faisant, ayant peut-être en tête Gaza, elle considérerait que commémorer la libération des camps nazis pourrait alimenter l'antisémitisme. Un tel raisonnement ne ferait que confirmer les constats attestant d'une montée de l'antisémitisme en Europe, indépendamment de la présence ou non de juifs, quand il ne s'agit pas de s'en prendre aux derniers d'entre eux.
A Payerne, dans la «nouvelle génération», certains aimeraient que la commune affronte de manière apaisée son passé tragique. Un Payernois souhaitant garder l’anonymat propose:
D’autres réfléchissent à l’installation d’une plaque commémorative.
Dansa sa lettre du 4 février à la municipalité de Payerne, Elie Elkaïm écrit encore:
Lundi à midi, la section payernoise du PLR a désigné son candidat à l’élection du 13 avril à la syndicature du chef-lieu de la Broye vaudoise. Son choix s’est porté sur le favori, Lionel Voinçon, 30 ans, juriste de profession, étoile montante du PLR, ex-collaborateur personnel de l’actuelle présidente du Conseil d’Etat vaudois, Christelle Luisier.
Sa participation à l'expédition des Barbouilleurs, auteurs des tags racistes et antisémites, ne lui a pas porté préjudice à ce stade. Le 13 avril, il affrontera un autre municipal, le socialiste Nicolas Schmid, 34 ans. Un combat circonscrit à la nouvelle génération. Celle qui permettra à Payerne de faire son deuil des fantômes du passé?