Si les inscriptions scandaleuses de Payerne avaient été faites en Allemagne ou en France, elles auraient été immédiatement condamnées par les gouvernements et les parlements de ces pays. Les Conseil d’Etat et Grand Conseil vaudois doivent dénoncer d’une seule voix les actes inadmissibles qui se sont produits lors des Brandons de Payerne, le carnaval du chef-lieu de la Broye vaudoise.
Pour cela et avant cela, il faut prendre la mesure de ce qui s’est passé. Ne pas chercher à minimiser ou folkloriser ce qui relève de la conscience universelle. Le traitement médiatique des tags racistes et antisémites apparus à Payerne a toute son importance. Les médias audiovisuels, RTS en tête, doivent être au rendez-vous.
Or la RTS ne l’était pas totalement mercredi soir. Dans l’émission de radio Forum, elle n’y était tout simplement pas. Face à l’élu municipal payernois Lionel Voinçon, l’un des Barbouilleurs, le nom de l’équipe de joyeux drilles à l’origine des tags, il en allait beaucoup de la défense de la satire et de la tradition, de l’ordre établi qu’on ne peut plus attaquer comme avant, quand on attendait un questionnement sur le sens des tags.
Parlant comme un politicien, l’invité s’est défendu en se posant en spectateur de l’«évolution de la société», la tradition devant s’adapter à l’époque, a-t-il conclu comme à regret. En l'occurrence, à Payerne, une tradition vieille de 70 ans, qui consiste à recouvrir les vitrines des commerces de la commune broyarde d’inscriptions satiriques et grivoises. Si seulement il ne s’agissait que de cela, même si l’on peut s’interroger sur une coutume née visiblement après la Seconde Guerre mondiale, où l’on barbouille de nuit et masqué des devantures de commerçants...
Mais les tags racistes et antisémites écrits dans la nuit du 7 au 8 mars ne relèvent ni de la satire ni de la tradition, eux. Ils ont certainement, en revanche, un rapport avec l'époque actuelle. Les commerces visés par ces inscriptions représentent tout sauf l’«ordre établi». Ils représentent l’autre, l’étranger, le différent, le vulnérable. Leurs propriétaires ou gérants n’ont pas à être moqués pour leurs origines ou religions supposées. Le carnaval ne peut servir d'alibi.
Les tags incriminés, dès lors que l’affaire est rendue publique, doivent être explicités, ce qu’aurait dû faire et n’a pas fait le TJ de 19h30, mercredi également. Il ne sert à rien de s’indigner d’actes moralement répréhensibles si, dans le même temps, on s’abstient de dire en quoi leur contenu est condamnable. Les deux tags antisémites sont certainement les plus graves, non pas parce qu’ils visent les juifs, mais parce qu’ils en réfèrent directement à la mise à mort: «Liquidation finale» (solution finale) et «On a gazé la blatte» (la vermine juive aux yeux des nazis).
Et que dire de l’un des chars des Brandons de Payerne de cette année représentant des juifs habillés «comme dans la comédie "Les aventures de Rabbi Jacob"», mais associés visuellement à un chandelier doré et à ce qui ressemble à des pièces d’or, ce que le film de Gérard Oury avec Louis de Funès ne fait pas? On dirait que tous les barrages ont sauté.👇
Payerne et les Barbouilleurs veulent sortir par le haut de cette «polémique». Ils ont raison. Des excuses ont été prononcées. Envisageons la suite sur de meilleures bases. Mais il faut avant tout que les politiques et les médias prennent acte de la gravité de ce moment honteux qui n’a rien à voir avec la satire, la grivoiserie ou la fronde contre les puissants. Le «pas de vagues» et la «poussière sous le tapis» appartiennent à un autre temps.