Suisse
Armée

Trois Romands au tribunal pour avoir appelé à boycotter l'armée

Des Romands appellent à boycotter l'armée: la police débarque chez eux

En Suisse, il est strictement interdit d'appeler à refuser le service militaire. L'infraction était tombée dans l'oubli. Pourtant, le Ministère public de la Confédération fait, aujourd'hui, le procès de trois jeunes hommes à ce sujet.
04.05.2023, 06:0805.05.2023, 14:25
Andreas Maurer / ch media
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Dès l'aube, une vingtaine de policiers prennent position devant trois appartements à Vevey, Nyon et Sion. Ce mercredi de mai 2021, ils sonnent chez trois activistes du climat. Les agents de la Police judiciaire fédérale (PJF) perquisitionnent les appartements, confisquent les téléphones portables ainsi que les ordinateurs portables et font des copies des boîtes aux lettres électroniques et des fichiers cloud.

Les garçons nés en 2001, 1999 et 1990 protestent. Le plus jeune objecte qu'il est en pleine période d'examens à l'université et qu'il a besoin de ses appareils pour cela. Le plus âgé du trio travaille désormais comme architecte et n'est plus actif au sein de la Jeunesse pour le climat. Il a un besoin urgent de son téléphone portable et de son ordinateur pour travailler, fait-il remarquer.

Signet Klimabrief
Le logo de la lettre ouverte.image: AZ/zvg

Toutefois, il est inutile de protester. La police n'emporte pas seulement les appareils, mais aussi les trois hommes. Pendant des heures, ils sont interrogés au poste de police.

L'acte présumé a été commis par les activistes douze mois auparavant. Sur le site Internet du mouvement climatique vaudois, ils ont publié une lettre ouverte au Conseil fédéral, qu'ils ont également envoyée à 200 journalistes.

«La grève du climat appelle à la grève militaire», peut-on y lire. L'armée ne serait pas seulement inutile, mais aussi polluante, violente et discriminatoire. L'appel est formulé sans équivoque: «Si vous devez payer la taxe d'exemption de l'obligation de servir, ne la payez pas». De plus:

«Si vous devez faire votre service militaire, n'y allez pas»

Qu'est-ce que la justice leur reproche?

Selon le Ministère public de la Confédération, les activistes climatiques vaudois ont, avec cet appel, violé l'article 276 du Code pénal. Celui-ci est ainsi libellé:

«Celui qui aura publiquement incité à la désobéissance à des ordres militaires, à la violation du service, au refus de servir ou à la désertion, (...) sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire»

L'infraction pénale en question est une relique de l'ancien temps. L'attitude de la société envers les objecteurs de conscience a évolué au fil de ces 40 dernières années et il n'est plus vraiment utilisé. Depuis 1978, on ne connaît, d'ailleurs, qu'une seule condamnation.

Le Conseil fédéral n'agit pas, mais un UDC valaisan oui

Même le Conseil fédéral ne sait pas exactement comment il va gérer cet article de loi. Après l'appel à la grève du climat, le conseiller national UDC valaisan, Jean-Luc Addor, s'en indigne. Il veut savoir du Conseil fédéral s'il va déposer une plainte pénale. En effet, il s'agit d'un délit poursuivi sur plainte. Pas de plaignant, pas de juge.

Nationalrat Jean-Luc Addor, SVP-VS, spricht waehrend einer Medienkonferenz ueber das referendum STOP SwissCovid ! von Referendumgskomitee gegen die Covid19-App der Schweiz , am Dienstag, 21. Juli 2020 ...
Jean-Luc Addor.Image: KEYSTONE

La réponse est non, car le droit pénal est là pour punir les infractions et non pour limiter la liberté d'expression ou empêcher les opinions indésirables. La ministre de la Défense Viola Amherd est responsable du dossier. Addor, capitaine dans l'armée, n'est pas d'accord. Il fait donc ce que le Conseil fédéral refusait et dépose lui-même une plainte pénale.

Le Conseil fédéral autorise l'enquête

Comme il s'agit d'un délit politique, le Ministère public de la Confédération doit demander au Conseil fédéral l'autorisation d'enquêter. Celui-ci peut la refuser si des intérêts nationaux s'y opposent. Or, le Conseil fédéral autorise une procédure pénale. C'est la ministre de la Justice de l'époque, Karin Keller-Sutter, qui est compétente en la matière.

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Karin Keller-Sutter.Image: sda

C'est ainsi que la procédure suit son cours et que l'Office fédéral de police, par le biais de la Police judiciaire fédérale, effectue les arrestations et que le Ministère public de la Confédération délivre trois ordonnances pénales contre les activistes. Sont punis:

  • L'auteur du texte.
  • L'administrateur du site web.
  • Le responsable des médias qui l'ont publié.

Ils reçoivent des amendes avec sursis, qu'ils ne doivent donc payer qu'en cas de récidive. Notons qu'ils devront tout de même payer des frais de procédure élevés. Ainsi, le trio doit s'acquitter, en tout, de 8500 francs.

Sweden's climate activist Greta Thunberg, left, and other young climate activists of the "Friday for Future Climate Strike" movement stage an unauthorised demonstration on the sideline  ...
Greta Thunberg lors d'une manifestation commune avec des militantes suisses pour le climat au WEF.photo: keystone

Les jeunes contestent tout

Les trois jeunes hommes contestent les ordonnances pénales et invoquent la liberté d'expression. C'est pourquoi l'affaire sera jugée vendredi devant le Tribunal pénal fédéral. C'est là, où d'habitude des personnes soutenant le terrorisme, des fonctionnaires corrompus ou des personnes faisant sauter des distributeurs de billets doivent répondre de leurs actes, que trois jeunes hommes vont comparaître pour avoir choisi les mauvais termes dans une lettre ouverte.

La question se pose: cette infraction est-elle encore d'actualité?

Condamner ces jeunes pour ce chef d'accusation, est-ce que cela a du sens?

Un entretien téléphonique avec le professeur de droit pénal Marcel Niggli. Il estime que l'on peut discuter de cette question, non pas au tribunal, mais au Parlement. Celui-ci pourrait adapter la loi:

«Mais tant qu'on ne le fait pas, ce sont les lois que nous avons qui s'appliquent»

Il est permis de dire publiquement que l'on pense que l'armée est une erreur et que l'on refuse de payer la taxe d'exemption de l'obligation de servir, mais celui qui appelle à ne pas faire l'armée et à ne pas payer la taxe est punissable. Niggli estime donc qu'il est juste que le Ministère public de la Confédération ait poursuivi les délits et il s'attend à des verdicts de culpabilité.

Marcel Niggli, Professor für Strafrecht
Marcel Niggli, professeur de droit pénal.photo: AZ/zvg

Tandis que: «Le climat semble même inciter certains juges à oublier le droit.» Il fait ici allusion au fait que certains juges ont prononcé des acquittements dans des procès contre des activistes climatiques, car l'état d'urgence climatique justifiait les violations de la loi. Ces décisions ont, toutefois, toujours été corrigées par les instances supérieures.

«Le droit s'applique à toutes les personnes de la même manière. Peu importe qu'elles soient sympathiques comme les activistes du climat ou antipathiques comme les consommateurs de pornographie enfantine», souligne Niggli.

Faudrait-il alors changer le droit? Non, estime le professeur de droit pénal. «Si nous avons une armée, la solution la plus démocratique est que tout le monde doive y aller. Il est alors logique que ceux qui veulent empêcher les autres d'y aller soient punis

La loi va-t-elle changer?

Une modification de la loi est, toutefois, déjà en cours au Parlement. Le conseiller aux Etats Mathias Zopfi (Vert/GL), lui aussi capitaine dans l'armée, a déposé une initiative parlementaire.

Klimaaktivisten Credit Suisse Tennis
C'est ainsi qu'ils sont devenus célèbres. Des activistes vaudois pour le climat ont joué au tennis dans une succursale du Crédit Suisse. Ils ont d'abord été acquittés pour cela, mais ont ensuite été condamnés.photo: Keystone

Cette infraction controversée doit être reformulée de manière à ce que seule soit punie la personne qui incite une personne astreinte au service à refuser de servir. En revanche, un appel public général ne serait plus punissable.

Les commissions compétentes soutiennent la proposition. Ce n'est donc sans doute plus qu'une question de temps avant que la loi ne soit réécrite. Cependant, pour les trois activistes, il est trop tard. Mais ils peuvent au moins se dire désormais qu'ils ont fait bouger les choses. (aargauerzeitung.ch)

(Traduit et adapté par Pauline Langel)

Il menace les activistes de Renovate avec un bâton
Video: watson
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