Suisse
Armée

Il manque 800 millions à l'armée Suisse et elle veut de l'argent

Finances de l'armée: «On a vraiment l'impression que quelque chose cloche»

Amherd et Süssli en septembre 2021.
Viola Amherd et Thomas Süssli (archives).Image: keystone/watson
Les caisses de l'armée sont vides. Il lui faut donc reporter les paiements à la période 2025-2027. Thomas Süssli prévoit également un programme d'armement pour 2024: quelle est la situation financière?
12.02.2024, 11:5612.02.2024, 12:36
Othmar von Matt / ch media
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Il y a un an, Viola Amherd, la ministre de la Défense, et Thomas Süssli, le patron de l'armée, semblaient détendus lors de la conférence de presse sur l'armée, nous étions le 15 février 2023. L'ensemble du Conseil fédéral venait pourtant de renoncer à augmenter le budget de l'armée à 1% du produit intérieur brut (PIB) d'ici 2030, comme l'exigeait le Parlement.

Cette hausse doit désormais s'étendre sur cinq ans, jusqu’en 2035. En parallèle, le gouvernement a dilué l'augmentation des fonds entre 2024 et 2027. Le budget baissera donc de 2,6 milliards au cours de cette période par rapport à la version 2030. Voilà ce qu'indiquent les chiffres de l'Administration fédérale des finances.

Bundesraetin Viola Amherd, rechts, spricht neben Martin Sonderegger, Ruestungschef, und Korpskommandant Thomas Suessli, Chef der Armee, von links, an einer Medienkonferenz zur Armeebotschaft 2023, am  ...
Viola Amherd, le 15 février dernier. A gauche, le chef de l'armée.Image: KEYSTONE

Lorsqu'un journaliste lui a demandé sur quels systèmes d'armes, il faudrait faire une croix, Viola Amherd a répondu:

«Il ne faudra rien laisser tomber. Les projets pourront continuer à avancer»

Puis son regard se tourna vers le chef de l'armée Thomas Süssli, assis à côté d'elle.

Un an plus tard, un autre monde

Aussi incroyable que cela puisse paraître, tout a changé en un an. Fin janvier, on annonçait que l'armée souffrait d'un déficit de plusieurs milliards. Comment la situation a-t-elle pu devenir si rapidement si dramatique?

Depuis que Thomas Süssli a pris ses fonctions, le 1ᵉʳ janvier 2020, il fait pression pour obtenir davantage d'argent. La guerre en Ukraine lui a permis de remettre la compresse. Depuis, il brandit le spectre d'une armée trop peu dotée pour survivre. En cas de conflit, l'armée de l'air ne pourrait maintenir la protection du pays que pendant un mois, a-t-il déclaré à CH Media (groupe auquel appartient watson) en 2022.

La semaine dernière, dans le Tages-Anzeiger, il est allé beaucoup plus loin: à moyen terme, l'armée disparaîtrait par manque de financement pour le matériel. Et d'ajouter: «Je ne peux pas être responsable de cette situation».

La doctrine de Süssli: dépenser le budget

Thomas Süssli a modifié la planification (trop) prudente des programmes d'armement. Sa doctrine: aucun solde créditeur restant. Ce qui revient à ne pas laisser expirer les crédits budgétaires inutilisés, comme ce fut le cas, en 2014, lors du rejet de l'achat des jets de combat Gripen. A cette époque, aucun projet d’armement alternatif n'avait été prévu.

En 2020 et 2021, Süssli est allé bien au-delà du plan directeur interne de 2018 avec ses premiers programmes d'armement:

  • Jusqu'à 700 millions pour 2020.
  • Jusqu'à 500 millions pour 2021.

La télévision alémanique avait rendu public ce plan directeur. Le chef de l’armée a repoussé les limites de ce que lui permettait la planification financière. Celle-ci ne prévoyait pas de programme d'armement pour 2023 et 2024 en raison d'une acquisition majeure à 8 milliards en 2022, celle du F-35 et du système de défense aérienne Patriot.

La stratégie de Süssli: occuper les chaînes de production

En 2023, Thomas Süssli et Viola Amherd ont néanmoins présenté au Conseil fédéral un programme à 725 millions. Et l'armée ne compte pas se priver en 2024, selon des investigations. Un message militaire et un programme d'armement pour environ 490 millions devraient être soumis au Conseil fédéral dans les prochaines semaines. En coulisse on commente:

«Nous devons nous immiscer dans les lignes de production des entreprises d'armement»

En effet, temps normal, cela prend 30 à 36 mois, mais en temps de guerre, cela peut prendre plus longtemps. Le chef de l'armée Süssli a également évoqué un possible crédit d'engagement pour 2024 dans la Samstagsrundschau:

Cela permet de se placer plus tôt dans la file d'attente chez un fabricant, mais les biens ne sont livrés et payés que plus tard»

Süssli et Amherd, un duo efficace

On pourrait croire à une répartition des rôles au sein du ministère. Le chef de l’armée y apparaîtrait comme le «méchant» qui annonce les mauvaises nouvelles, fait pression et exige de l’argent. La ministre, tient plutôt le bon rôle, celle de la «gentille». En tant que conseillère fédérale, elle doit tenir compte du principe de collégialité et faire des compromis, surtout maintenant qu'elle est aussi présidente de la Confédération.

Mais Amherd et Süssli forment un duo hors pair. Ils ont une relation étroite et un objectif commun: sauver l’armée, qui a été «en ruine pendant 30 ans», comme l’a maintes fois répété la Haut-valaisanne, pas plus tard que cette semaine.

Le duo réfléchit ensemble à des décisions stratégiques capitales. Et Süssli informe constamment sa patronne des difficultés liées à la situation financière. C'est du moins ce qu'on peut penser. Dans le Samstagsrundschau, il a éludé à onze reprises la question des finances. Il a néanmoins clairement laissé entrevoir son rôle: signaler les besoins de l'armée. Quant à savoir si le message de l’armée inclut également un programme d’armement, voilà qui relève du domaine politique. Une question pour sa patronne – et pour l'ensemble du Conseil fédéral.

Autre certitude: Viola Amherd est à l’origine du message sur les armes à 725 millions de 2023. Et elle soutient par ailleurs le programme que Süssli prévoit pour 2024 – malgré des problèmes financiers.

800 millions de francs et une deuxième montagne

L’armée est parvenue d'elle-même à rembourser 600 millions des 1,4 milliard de francs qui lui manquaient entre 2022 et 2023. C’est ce qu’affirment des sources internes. Restent les 800 millions reportés à 2025, 2026 et 2027.

Mais une montagne se dresse encore sur la route vers 2030: celle des crédits d’engagement. Fin 2023, ils s'élevaient à 12,7 milliards. Un crédit d'engagement fixe le montant maximum à hauteur duquel le Conseil fédéral peut s'engager pour un projet déterminé. Il est utilisé si des paiements sont nécessaires au-delà de l'année budgétaire.

Les 12,7 milliards servent à financer 4000 projets. Les crédits d'engagement pour les F-35 et Patriot (8 milliards), la modernisation des télécommunications (1,6 milliard) et la remise en état des chars de grenadiers (438 millions) constituent les gros morceaux. D'autres projets portent sur l'équipement et la matériel à renouveler, l'étude de projets, les essais et préparatifs d'achat ainsi que pour la munition d'instruction et gestion des munitions.

L'armée dispose de huit à douze ans pour ces crédits. En parallèle, son budget augmente continuellement:

  • 5,5 milliards en 2023.
  • 6,5 milliards en 2027.
  • 7,8 milliards en 2030.

Tout devrait donc rentre dans l'ordre? C'est ce que l'on croit dans le milieu militaire.

Priska Seiler Graf, SP-ZH, spricht waehrend der Wintersession der Eidgenoessischen Raete, am Mittwoch, 6. Dezember 2023, im Nationalrat in Bern. (KEYSTONE/Peter Klaunzer)
Priska Seiler Graf.Keystone

Mais Priska Seiler Graf (PS/ZH), la présidente de la Commission de politique de sécurité, en doute. Elle fera des finances le sujet principal de la réunion du 19 février. «Nous voulons enfin avoir des précisions sur la situation», dit-elle. «Jusqu'à présent, nous n'avons reçu aucun chiffre concret et ne comprenons pas les détails». Et de conclure:

«On a vraiment l'impression que quelque chose cloche»

(Traduit et adapté par Valentine Zenker)

Immersion dans le plus grand bunker d'or privé de Suisse
Video: watson
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