Cette semaine, la conseillère fédérale en charge de la Défense et des Sports a accueilli plusieurs invités de marque: le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg ou encore celui de l'ONU, Antonio Guterres. Sans oublier le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Vous avez rencontré de nombreux leaders durant la semaine écoulée. Quelle rencontre vous a le plus marquée?
J'ai un peu perdu le compte du nombre de discussions, je dois dire.
Pourquoi?
Il a encore tant d'énergie après toutes les épreuves qu'il a traversées. C'est vraiment impressionnant. J'avais déjà discuté avec lui par téléphone le vendredi précédent, puis je l'ai rencontré en personne lundi.
De quoi avez-vous discuté avec lui par téléphone?
Il a tout d'abord remercié la Suisse pour son engagement dans l'humanitaire et le déminage, ainsi que pour cette quatrième conférence sur l'Ukraine, ici à Davos, avec un peu plus de huitante pays participants. Puis, nous avons évoqué ce possible sommet pour la paix, notamment au sujet de la présence des ministres ou des chefs d'Etat.
Avez-vous pris la décision que la Suisse héberge cette conférence ce lundi, après avoir discuté avec Zelensky?
Un représentant du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) était présent lors de l'entretien téléphonique. Nous avons évoqué les différents scénarios à l'interne durant le week-end. Le sommet a aussi été évoqué, lundi, lors de ma discussion en bilatérale avec Volodymyr Zelensky, puis lors des entretiens, où j’étais accompagnée de deux autres membres du Conseil fédéral. Nous avons alors pris la décision d'organiser ce sommet.
Qu'est-ce que vous a décidé à organiser ce sommet?
J'étais déjà d'avis, dès le vendredi précédent, que la Suisse devait apporter son soutien à l'Ukraine, si celle-ci le demande. Il y a un petit risque que nous ne soyons pas en mesure d’organiser ce sommet. Mais si nous n'essayons pas, nous ne réussirons certainement pas. Nous devons parfois avoir le courage de dire : nous allons essayer et faire de notre mieux.
Comment a-t-on réagi à cette proposition? Qu'on dit nos partenaires?
L'écho était positif, même s'il s'agissait de réponses diplomatiques. Toutes les personnes à qui j'ai parlé ont reconnu qu'il devait y avoir un dialogue, et qu'il fallait bien l'entamer à un moment donné.
Comment entamer un dialogue auquel ni la Russie ni aucun de ses alliés ne veulent participer?
Nous ne savons pas encore précisément quelle partie sera présente ou non. La Russie ne sera probablement pas présente. Mais nous cherchons à discuter avec toutes les autres parties pour les amener à la table.
Pékin est proche de Moscou et la Chine a une influence sur Poutine. Avez-vous évoqué cette thématique avec Li Qiang, le premier ministre chinois que vous avez rencontré peu avant Zelensky?
Cette discussion est confidentielle, je ne peux donc pas m'exprimer là-dessus.
Tournons-le ainsi: quelles sont les chances que la Chine participe à ce sommet pour la paix?
Ce n’est pas exclu que la Chine participe. Lors de nos entretiens officiels, Li Qiang a indiqué que la Chine était ouverte au dialogue pour la paix dans le monde. Ignazio Cassis se rendra en Chine début février. Il s'agit d'un voyage qui a été prévu de longue date, mais ce sera assurément une opportunité pour pouvoir évoquer cette thématique.
Que faut-il faire pour que ce sommet soit un succès?
Si on réussit à mettre autour de la table un large panel de pays. Je pense notamment à l’hémisphère sud: l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Arabie saoudite. Et bien sûr, la Chine.
Pourquoi faire participer tous ces pays qui sont au final très loin de la guerre en Ukraine?
L'insécurité provoquée par la guerre en Ukraine touche le monde entier. Il en va de même pour le conflit au Proche-Orient.
Quand aura lieu ce sommet pour la paix?
Dès que possible. Certainement d'ici à la fin de l'année.
Où aura-t-il lieu? A Genève?
Cette question est, elle aussi, encore ouverte.
Vos ambitions ne sont-elles pas un peu trop élevées? Ne serait-il pas plus réaliste de faire un sommet entre ministres, plutôt qu'entre chefs d'Etat?
Ce serait plus simple, c'est certain. Mais pour avoir un engagement fort, c’est certainement le bon niveau.
Il y a désormais une certaine proximité entre vous et Zelensky, et même entre Berne et Kiev. La Suisse peut-elle encore être crédible comme acteur neutre?
La Suisse est un Etat neutre, mais aussi positionné du côté du droit international. L'Ukraine a été agressée et a le droit de se défendre. Le but de ce sommet pour la paix est d’élargir la base de discussion. On ne peut pas s'attendre à ce qu'un plan de paix prêt à l'emploi soit disponible à la fin du sommet. Mais si nous pouvons initier un processus de paix, ce sera déjà beaucoup. Et la Suisse, en tant que pays neutre, peut y contribuer.
A Davos, le vice-chancelier allemand, Robert Habeck, a déclaré que Poutine ne devait pas, sous aucune circonstance, gagner la guerre en Ukraine. Sinon, il estime que la prochaine guerre ne tardera pas à éclater. Est-il possible de mener des discussions de paix avec lui?
La Suisse discute avec toutes les parties en présence. Ces derniers jours, on m'a signalé à plusieurs reprises à quel point il était important, et combien ils étaient contents, d’avoir quelqu’un qui puisse parler à tout le monde. Les canaux de communication existent et ils sont ouverts.
La paix est-elle possible tant que la Russie conservera tout ou une partie des territoires conquis?
L'Ukraine veut récupérer ses territoires dans leur totalité, y compris la Crimée. Ce souhait est compréhensible. Pendant ce temps, la population civile dans son ensemble souffre de la guerre, en Ukraine principalement, mais aussi en Russie.
Le Proche-Orient n'est-il pas devenu un sujet secondaire à Davos? On dirait que tout a tourné autour de l'Ukraine...
Je remarque que les semaines précédentes, c'était l'inverse: on avait relégué l'Ukraine au second plan et tout le monde ne parlait que du Proche-Orient. Cela a changé avec la présence de Volodymyr Zelensky à Davos, c’est certain. Mais le conflit au Proche-Orient a, à chaque fois, été un sujet de discussion lors de mes entretiens bilatéraux.
Vous avez aussi rencontré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Où en est-on dans le dossier européen?
La Suisse comme la Commission ont envie d'avancer dans ce dossier. Mais de nombreuses questions restent en suspens. Il faudra encore clarifier beaucoup de choses, mais je reste optimiste.
Quelles sont les principales questions qui restent à résoudre?
Avant toute chose, j'aimerais souligner que de nombreux progrès ont été réalisés l'année dernière. Nous avons répondu à beaucoup de questions et avons trouvé de bonnes solutions dans la question de la protection des salaires et des aides d'Etat. Un des derniers points d'achoppement concerne le règlement des notes de frais, également très critiqué par les syndicats.
Qu'en est-il de la libéralisation du transport ferroviaire exigée par l'UE?
Je ne vois pas de problème ici. Si nous devons libéraliser le trafic voyageur dans le secteur ferroviaire, les prestataires étrangers auraient besoin d'une concession.
Vous semblez optimiste.
C'est l'un des objectifs que je me suis fixés pour mon année présidentielle: aller de l'avant sur le dossier européen. Et nous sommes dans les temps. D'ailleurs, il doit y avoir des élections au Parlement européen cette année et il serait bien de pouvoir conclure ces négociations avant l'entrée en fonction de la nouvelle Commission.
Avez-vous reçu des signaux positifs de la part d'Ursula von der Leyen?
L'UE sait où se situent les problèmes, en Suisse, ainsi que le bras de fer annoncé avec les syndicats. Mais les négociations ne font que commencer.
D'autres rencontres au sommet sont-elles prévues entre vous et Ursula von der Leyen?
Oui, je dois à nouveau la rencontrer à Bruxelles. Si possible encore au cours du premier trimestre de cette année. Nous nous connaissons depuis longtemps. Nous étions en contact lorsqu'elle était ministre de la Défense, en Allemagne. Et nous avons toujours eu de bons échanges.
Nous avons remarqué qu'à Davos, vous étiez toujours accompagnée par deux hommes portant des valises. Que contiennent-elles?
Durant le WEF, une zone d'exclusion aérienne est mise en place autour de Davos. Si un avion devait la franchir sans autorisation, je dois — en tant que ministre de la Défense — décider très vite si je donne l'autorisation ou non de l'abattre. C'est à ça que sert ce dispositif.
Le dispositif de sécurité est particulièrement élevé à Davos cette année, non?
En effet. Beaucoup d'évènements ont eu lieu ces derniers jours. Les visites de Volodymyr Zelensky et de Li Qiang à Berne, suivies des journées du WEF à Davos. Tant l'armée que les polices cantonales, la protection civile et les entreprises de sécurité privée ont atteint leur limite ces derniers jours. J'en profite pour les remercier pour leur engagement.
La Suisse peut-elle encore assumer cette tâche seule?
Dans le domaine de la défense aérienne, nous avons toujours collaboré avec nos voisins. Pour le WEF, nous collaborons avec les forces aériennes allemandes, autrichiennes et italiennes.
Mardi soir, Volodymyr Zelensky a décidé de changer d'itinéraire pour aller visiter une exposition. Nous imaginons que la sécurité doit être sur les dents pour éviter un possible attentat de la part de la Russie, par exemple avec des armes chimiques. On se souvient du fameux Novitchok utilisé par Moscou...
Nous étions préparés à tout, même pour ce scénario. Si un tel événement s’était produit, des spécialistes seraient rapidement intervenus sur place.
Y a-t-il eu le moindre incident?
Aucun incident n'a eu lieu. Heureusement.