Jusqu'au 23 avril 2023, le Musée d'art et d'histoire de Genève (MAH) présente Du crépuscule à l'aube, une exposition qui dévoile les œuvres de la Galerie nationale de Kiev. Elle avait été initialement inaugurée en 2021 dans la capitale. En guise de présentation, le MAH écrit:
Visite guidée de l'exposition avec son curateur, Samuel Gross, qui nous raconte également comment s'est passée la collaboration avec ses collègues ukrainiens.
Par où commence-t-on la visite?
Samuel Gross: On va descendre voir les caisses qui ont servi au transport des œuvres. Il y en a une quinzaine, elles font aussi partie de l'exposition.
Le MAH a-t-il aidé au transport?
Non. La Galerie nationale de Kiev s'est occupée de la logistique, une procédure normale lorsqu'on collabore avec des musées à l'étranger. En revanche, nous n'avons aucune information sur la manière dont ils ont réussi à faire sortir les œuvres d'Ukraine. J'ai simplement été prévenu lorsqu'elles étaient arrivées à la frontière.
Est-ce qu'ils ont accompagné les tableaux jusqu'en Suisse?
Oui. Ils sont venus pendant plusieurs jours. Une exposition a également lieu à Bâle, ils ont donc fait un seul trajet.
Ils vous ont contacté en mai 2022: vous avez monté une exposition en 8 mois. Comment avez-vous fait?
Notre agenda a été chamboulé et décalé, mais nous avons tout fait pour que cette collaboration fonctionne. C'est peut-être aussi pour cette raison qu'ils ont choisi notre musée: parce que nous avions la possibilité de répondre à leurs besoins rapidement.
Comment s'est passée la collaboration?
Très bien. Après, bien sûr, il y a eu des perturbations qui nous rappelaient leur réalité, malgré le fait qu'ils aient tout fait pour nous protéger de cela.
Par exemple?
Les vidéoconférences planifiées à 20 heures, car ils avaient des coupures de courant. Ou ma collègue qui tourne sa caméra pendant un appel en visio pour me montrer qu'elle se trouve dans une pièce sans fenêtres. Mais nous restions concentrés sur notre projet commun. Je ne demandais jamais s'ils avaient froid ou faim.
Vous avez encore des contacts sur place?
Bien sûr. Rien ne me prédestinait à avoir une relation avec des personnes en zone de conflit. Aujourd'hui, je peux dire que j'ai des amis qui sont là-bas. On monte voir le reste de l'exposition?
D'accord. Par quel tableau on commence?
Commençons par Noyés dans les fleurs (1886), de Pavlo Svedomsky. Il s'agit d'une scène de l'histoire antique, qui montre une personne puissante qui arrive à surpasser ses ennemis en les couvrant de fleurs. On voit également que les femmes ont l'air de s'étouffer, ce qui amène un aspect morbide à l'œuvre.
Même si les œuvres datent principalement du 19e et du 20e siècle, la comparaison avec la situation actuelle en Ukraine est assez évidente.
Oui et non. Il faut rappeler que cette période était également sombre.
Celui-ci aussi est mélancolique. C'est du feu qu'on voit en arrière-plan?
Non, ce sont les lumières des bougies. Il s'agit d'une none, un tableau de Illiia Repin de 1887. C'est une critique du régime tsariste: au lieu de peindre un Tsar, une personne importante de l'époque, il a décidé de peindre une none, qui représente la simplicité et la sincérité.
Cette exposition avait-elle pour but de protéger les oeuvres?
Non.
Ah?
Ce n'était pas le point de départ. Avant même d'entrer en contact avec la Galerie nationale de Kiev, nous étions dans un processus de réflexion sur «comment aider nos confrères» et «si un jour ça nous arrive, qu'est-ce qu'on aimerait qu'ils fassent pour nous»? Nous voulions travailler en collaboration avec cette institution et imaginer une exposition en commun, comme nous l'aurions fait avec n'importe quel musée en temps normal.
Il vous faudra donc rendre les œuvres?
Oui, sauf s'ils souhaitent prolonger l'exposition. Mais notre but n'est pas de vider leur musée. D'ailleurs, il est toujours actif sur place. Ils ont mis un point d'honneur à continuer de travailler, même s'ils ne sont plus qu'une quarantaine aujourd'hui, contre 150 à l'époque.
On termine notre visite par une série de tableaux lumineux. Que représentent-ils?
L'aube. Elle symbolise l'espoir. Nous espérons que cette collaboration avec un musée ukrainien est la première d'une longue série. Nous avons réalisé que nous avions un patrimoine commun. Malheureusement, quand je regarde ces tableaux, je ne peux m'empêcher d'être nostalgique, car je sais qu'il y a un risque que je ne les revoie plus jamais.
Pourquoi?
Parce qu'ils sont liés au destin de l'Ukraine.
L'exposition est à découvrir au musée Rath à Genève,