Nous vivons une année exceptionnelle - en termes mycologiques, du moins. Bolets, cornes d'abondance et autres lactaires poussent comme des champignons (pardon, elle était facile). Sur les sols de nos forêts, «des quantités et une qualité incroyables».
«J’ai mes coins réguliers mais, là, j’en n'ai jamais trouvé autant. C’est exceptionnel», témoigne Benoit John, ramasseur passionné neuchâtelois, 40 ans d'expérience dans les jambes.
Comment expliquer ce faste, digne des grandes années? «C’est la conjonction de cette pluie très importante pendant une semaine ou deux, suivie d’un temps très doux, avec peu de vent ou de bise», nous détaille Jean-Pierre Pfund, vice-président de la VAPKO, l'Association suisse des organes officiels de contrôle des champignons.
En même temps que les bolets, des dizaines de nouveaux amateurs ont émergé partout en Suisse romande, désireux de rejoindre les sociétés de fans et d'écumer les forêts. La concurrence est-elle bien perçue par les anciens? «C'est vrai qu'il y a pas mal de monde, admet Benoit John. Moi, ça ne me gêne pas. Les forêts sont assez grandes, il y en a pour tout le monde.»
«Evidemment, c'est un peu frustrant de ne plus se sentir seul en forêt, car c’est aussi ce que je recherche», admet Raphael Barman, champignonneur genevois depuis plus de 15 ans. Avant de relativiser: «D’un autre point de vue, les gens sont en nature plutôt que d’être collé à leur téléphone, donc je ne peux qu’encourager cette pratique!»
Peu expérimentés mais avides d'apprendre, les nouveaux venus dans l'arène partagent aussi leurs trouvailles sur les réseaux sociaux, en quête d'une expertise. Quitte à faire lever les yeux du sol des connaisseurs les plus patients:
Un constat partagé par Jean-Pierre Pfund: «Pendant les contrôles, il nous arrive fréquemment de tomber sur des gens qui veulent cueillir 'toute la forêt'». Comment ça, toute la forêt? Notre expert lâche un rire, avant de préciser: «J'entends par là des cueilleurs avec très peu de connaissances, qui ramassent n'importe tout ce qui leur tombe sous la main, champignons comestibles ou pas, des avariés…».
Pour éviter de confondre une amanite tue-mouches (la maison des Schtroumpfs) avec des pieds bleus et s'épargner un empoisonnement, notre expert formule un conseil: «Tout d'abord, se former pour distinguer les champignons frais des avariés, simplement à l’odeur. Ensuite, quand on ne connait pas l'espèce, cueillir un ou deux exemplaires, les couper tout entiers avec le pied et toutes ses caractéristiques, et aller déterminer correctement le champignon sur un lieu de contrôle.»
Autre tendance repérée sur les réseaux sociaux? Des kilos de champignons entassés et exhibés comme un trophée de chasse - des photos qui suscitent quelques fois des commentaires courroucés.
Pourtant, la cueillette en masse n'est pas dénuée de risques: à commencer par celui de se faire pincer lors d'un contrôle. En effet, en Suisse, la cueillette de champignons a ses règles (que la raison ignore) et ses variantes cantonales. Si Neuchâtel et le Valais ne limitent pas du tout le poids d'une récolte, Fribourg, Genève, Berne et le Jura cantonnent le «chasseur» à 2 kilos de champignons par jour et par personne. Avec quelques nuances:
Le canton de Vaud, quant à lui, est le seul à donner libre cours à l'interprétation: la collecte doit être «limitée à la consommation familiale». Une philosophie «intéressante» qui séduit notre expert Jean-Pierre Pfund.
Le Genevois Raphael Barman a son avis sur les récoltes massives: «Je ne suis pas contre. La saison des bolets est courte. C'est dur de faire une sortie et de laisser derrière soi des tonnes de bolets car on doit respecter le seuil!». Il tient bon de rappeler que «un champignon est constitué à 90% d'eau. Lorsqu’on le sèche, il ne reste plus grand-chose».
Notre pragmatique ramasseur conclut: «Si j'en ramasse une tonne, qui saura qu'il y en avait une tonne à cet endroit? De toute manière, si le champignon n’est pas ramassé, il va mourir et repartir à la terre».
Jean-Pierre Pfund de la Vapko met toutefois en garde contre la tentation de consommer une trop grande quantité de cet eucaryote délicieux. Il est recommandé d'en manger 200 grammes par semaine maximum.
Il faut également faire attention avec les enfants, car les champignons sont des accumulateurs de métaux lourds.
Dernier inconvénient de la récolte en masse? Leur gestion. «Quand vos paniers sont pleins de champignons, il faut les nettoyer, les préparer, les sécher, les congeler ou les cuisiner frais.… Bref, traiter ces cueillettes avec amour», conclut notre amoureux des bolets, Benoit John.