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«La Suisse paye pour les banques, mais coupe dans nos retraites»

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«La Suisse paye pour les banques, mais coupe dans nos retraites»

Karin Keller-Suter ou l'art des contrastes: la ministre des Finances injecte 259 milliards dans les banques, mais économise sur l'AVS. La gauche a-t-elle raison d'être en colère? Explications et réactions.
29.03.2023, 18:5109.04.2023, 10:07
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Les 259 milliards accordés à titre de garantie à UBS pour amortir la chute de Credit Suisse deviendront-ils le «quoi qu’il en coûte» du Conseil fédéral? Autrement dit, un boulet. L'exécutif s'expose-t-il à présent à une pluie de revendications sociales au motif que l'argent public coule à flot pour les banques?

Le «quoi qu’il en coûte», c’était la promesse d’Emmanuel Macron aux Français lorsqu’il leur a imposé le confinement en 2020 face au Covid. Toutes les pertes pour l’économie de la France seraient compensées par l’Etat. Ce qui fut fait, créant une dépendance accrue à la dépense publique dans un pays où elle est déjà la plus élevée d’Europe, déplorent les économistes libéraux. Preuve en seraient les oppositions à une réforme des retraites censée faire économiser de l’argent à l’Etat.

A 9 milliards près...

C’est un hasard, mais le «quoi qu’il en coûte» d’Emmanuel Macron – des prêts garantis par l’Etat, suivis de mesures anti-inflationnistes – a atteint un total de 250 milliards d’euros. A 9 milliards près, les monnaies se valant, on a là le montant mis à disposition par Berne et la Banque nationale pour sauver la place financière suisse et le pays avec elle.

Ce quart de billion injecté dans un secteur jugé privilégié coïncide avec l’annonce, mercredi, dans les journaux alémaniques de Tamedia, d’un projet de coupes dans les contributions de la Confédération à l’AVS, nos retraites. Du plus mauvais effet. Le président du groupe socialiste au parlement, Roger Nordmann, s'étrangle:

«La Suisse paye pour les banques mais coupe dans nos retraites»

Le contraste entre les deux séquences est d’autant plus choquant, aux yeux de la gauche, qu’on retrouve aux manettes dans l’une comme dans l’autre la ministre des Finances, la libérale-radicale Karin Keller-Sutter. Celle qui a œuvré à la reprise de Credit Suisse par UBS aux conditions que l’on sait, est la même qui devait proposer mercredi à ses collègues du Conseil fédéral ce plan de réduction des dépenses englobant le 1ᵉʳ pilier de la prévoyance vieillesse.

La grande argentière s’attend à un déficit de trois milliards de francs dans les prochaines années. Son plan d'épargne prévoit de ramener de 20,2% à 19,5% la part de l’AVS financée par la Confédération pour une économie annuelle attendue de 190 millions de francs pendant cinq ans. Or la part confédérale a été augmentée il y a trois ans seulement, dans le cadre de la Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA), acceptée en votation.

Roger Nordmann ne décolère pas:

«En février, Karin Keller-Suter envisageait d’économiser jusqu’à 100 millions de francs par an sur les rentes de veuves. Maintenant, elle veut couper dans l’AVS, alors que le parlement a refusé, l’an dernier, d’indexer les rentes vieillesse au renchérissement réel, soit 2,8%, se contentant de 2,5%. Cette politique budgétaire creuse les différences entre riches et pauvres, c’est inacceptable, d’autant plus lorsqu’on accorde des sommes faramineuses au secteur bancaire.»
Roger Nordmann

«C’est ce qu’il fallait faire, c’était inévitable»

Le sauvetage de la place financière suisse aura bénéficié d'un genre de «quoi qu’il en coûte». Le président du groupe socialiste au Parlement fédéral ne le remet pas en cause. «C’est ce qu’il fallait faire, c’était inévitable, dit-il. Les 259 milliards sont choquants, mais le problème le plus grave, c’est le manque de règles pour la sécurité des banques de façon à prévenir ces dérapages. Le Parti socialiste veut obliger les banques d’importance systémique à détenir 20% de fonds propres. Par ailleurs, nous voulons supprimer les bonus, parce qu’ils poussent à la prise de risque. Nous allons déposer, jeudi, une initiative parlementaire comprenant ces dispositions et d’autres.»

Actuellement, les établissements bancaires de la taille d’UBS ou de Credit Suisse sont tenus à un ratio de fonds propres de 13%.

Dans le même temps, le PS va soutenir deux motions déposées par sa conseillère nationale Prisca Birrer-Heimo. Dans l’une, la Lucernoise veut porter à 15% le ratio de fonds propres, dans l’autre, interdire les bonus aux directions.

«Il ne faut pas décider dans la précipitation»

Entre 2007 et 2011, alors conseiller national, l’actuel conseiller aux Etats vaudois PLR Olivier Français était membre de la commission de gestion du Parlement. A ce titre, il a supervisé le plan de sauvetage d’UBS en 2008. La grande banque du pays étant alors frappée par le souffle dévastateur de la crise des subprimes. «Il ne faut pas prendre des décisions dans la précipitation», estime le sénateur. «Augmenter le taux de couverture (réd: le ratio de fonds propres) ne me semble pas la meilleure des options et n’empêcherait sans doute un scénario catastrophe. Dans l’immédiat, cela aurait pour effet une diminution de l’argent mis à la disposition des clients et par conséquent une augmentation des taux d’intérêt. Dans le cas de Credit Suisse, des investissements inconsidérés ont été faits, notamment dans dans l’économie fragile des startups».

«On n’a pas provisionné certains prêts à risque comme il l’aurait fallu. C’est dans la prise en compte des risques qu’il faut agir»
Olivier Françias

Le sauvetage d’UBS avait «coûté» 50 milliards de francs à la BNS et 6 à la Confédération. Olivier Français refuse de parler d’un «quoi qu’il en coûte».

«En 2008, ce n’était pas de l’argent jeté pour combler un trou, mais un prêt qui a rapporté à la BNS comme à la Confédération»
Olivier Français

«Aujourd’hui, pour le sauvetage de Credit Suisse, il s’agit également d’un prêt, dont nous devrions connaître prochainement le ou les taux», ajoute le sénateur vaudois. Un prêt de 259 milliards, cinq fois plus élevé qu’il y a quatorze ans pour UBS, plus d'un quart du Produit intérieur brut. Assez pour justifier l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire. D'ores et déjà votée par le bureau du Conseil national (les présidents de groupe), elle doit encore recevoir l'aval des deux Chambres.

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