Le président démissionnaire de la Banque nationale, Thomas Jordan, n'aurait pas pu choisir un meilleur moment pour quitter son poste et régler sa succession. C'est en tout cas ce que doit se dire l'actuel favori à sa succession, Martin Schlegel. Ce dernier n'a certes pas encore deux ans d'ancienneté à la direction, mais son concurrent le plus féroce en interne, Antoine Martin, n'y est que depuis deux mois. Les trois hommes composent la direction générale de la BNS.
Martin Schlegel est en quelque sorte un enfant de la Banque nationale. Il l'a rejointe immédiatement après ses études d'économie en 2003. Il y est resté et a grimpé les échelons jusqu'à devenir membre de la direction. Mais un obstacle se dresse sur son chemin: Karin Keller-Sutter. Car la ministre des Finances n'est pas connue pour se contenter d'approuver les propositions. Au contraire: elle prend les questions de personnel très au sérieux et n'hésite pas à intervenir. Dernièrement, par exemple, lors de la nomination de Stefan Walter au poste de directeur de l'Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma).
La nomination du président de la BNS est traitée par le comité de nomination du Conseil de banque, dirigé par sa présidente, Barbara Janom Steiner. Dans celui-ci siègent également le président de Julius Baer Romeo Lacher, très critiqué ces derniers temps, ainsi qu'Angelo Ranaldo, professeur à l'Université de Saint-Gall. Ils soumettront leur proposition au Conseil fédéral, qui devra confirmer le choix.
Si Schlegel est élu en remplacement de Thomas Jordan, une autre succession devra donc avoir lieu dans la foulée: celle du troisième membre de la direction générale de l'établissement. En tant que collaborateurs de longue date de la Banque nationale, les membres de la direction élargie, gardent l'espoir de «monter» au sein de la direction générale. Mais c'est, paradoxalement, cette proximité qui rend nombre d'entre eux considérés comme inaptes. Yvan Lengwiler, professeur d'économie et président du groupe d'experts en stabilité des banques du Département fédéral des finances (DFF), estime qu'il «ne devrait pas y avoir de succession automatique à la Banque nationale».
«Il y a suffisamment de candidates et de candidats compétents», analyse Yvan Lengwiler. La loi sur la Banque nationale fixe certains garde-fous. Seules les personnes «bénéficiant d’une réputation irréprochable et ayant une expérience reconnue dans les domaines monétaire, bancaire et financier» peuvent être élues, précise l'article 44 de la Loi fédérale sur la Banque nationale suisse. En outre, elles doivent «être de nationalité suisse et avoir leur domicile en Suisse».
Plusieurs noms circulent. Par exemple celui du banquier et propriétaire de Pictet Renaud de Planta, qui a participé au groupe de travail mis en place par Karin Keller-Sutter et dirigé par Yvan Lengwiler après l'effondrement de Credit Suisse. Il connaît le marché financier comme personne, disent de lui ses anciens collègues. Yvan Lengwiler cite encore un autre argument en faveur de de Planta:
Un autre candidat possible serait aussi l'ancien chef de la banque Vontobel, Zeno Staub, qui aspire à une carrière politique: il s'est récemment présenté sans succès au Conseil national sous l'étiquette du Centre.
Patrick Raaflaub possède une expérience à la fois du secteur financier et des autorités. Le responsable des risques du réassureur Swiss Re a été le premier chef de la Finma à la solde de l'Etat pendant plus de cinq ans à partir de 2009.
Les universités constituent aussi un bassin de recrutement possible pour les candidats à un poste de direction de la BNS. Le nom de Sarah Lein, professeure d'économie à Bâle, a déjà été évoqué lors de la recherche de successeur d'Andréa Maechler. Il s'agirait également d'un choix politique important, puisque c'est une femme.
Une autre candidate dont beaucoup font l'éloge serait Beatrice Weder di Mauro. Cette professeure d'économie internationale à Genève était auparavant membre du «Conseil des sages économiques» en Allemagne, membre du conseil d'administration d'UBS et, comme Yvan Lengwiler, membre du groupe d'experts du CS de Keller-Sutter. Le nom de la professeure d'économie Monika Bütler est également cité.
D'autres misent sur Daniela Stoffel, secrétaire d'Etat aux questions financières internationales. Ce ne serait pas la première fois que de hauts fonctionnaires du département des finances feraient le saut à la direction de la BNS. La dernière fois, c'était le cas de Fritz Zurbrügg, ancien directeur de l'administration des finances. En revanche, Stoffel a fait partie de l'équipe de sauvetage de Credit Suisse. Cela devrait réduire ses chances jusqu'à l'évaluation définitive de son travail avec le rapport de la commission d'enquête parlementaire (CEP).
Quelle que soit la personne qui se lance dans la course si le troisième poste de la direction centrale devient vacant, il est important, selon Yvan Lengwiler, que la vacance soit comblée par une personne externe.
Et le Conseil fédéral est ici complètement libre dans son choix. De manière informelle, le Conseil de banque et le Département des finances, responsable du dossier, pourraient échanger leurs points de vue au préalable. Mais cet échange n'est pas contraignant, comme le stipule d'ailleurs la loi:
Pour le favori et vice-président Martin Schlegel, la course est donc loin d'être terminée.
Traduit de l’allemand par Lara Lack