Sous haute surveillance, Moutier, baignée de soleil dans sa cuvette au cœur du Jura. Des SUV de la police cantonale bernoise vont et viennent sur l’artère principale de ville, déserte à 10 heures ce matin, à l’ouverture de l’unique bureau de vote. Les camps séparatiste et antiséparatiste sont maintenus à bonne distance l’un de l’autre. A des emplacements on ne peut plus symboliques.
Le QG du «oui» au rattachement au canton du Jura est situé dans l’Hôtel de la Gare, sortie Nord, en direction de Delémont. Celui du maintien dans le canton de Berne, au Forum de l’Arc, sortie Sud, en direction de Bienne. Moutier sera renseignée sur son sort aux alentours de 17 heures. Mais déjà plane de part et d’autre la menace de recours. On n’en finira donc jamais?
Vêtu d’un sweat bleu ciel, Steve Léchot, porte-parole de Moutier Plus, qui regroupe les partisans du «non», sort du bureau de vote accompagné d’amis. «J’ai le sentiment du devoir accompli», dit-il, satisfait de la campagne menée. «On a reçu beaucoup d’argent, 100 000 francs, ça montre qu’il y a eu une mobilisation en faveur du maintien dans le canton de Berne», estime-t-il, tel un boxeur dans l’attente d’une décision aux points.
Mobilisation, assure Steve Léchot, mais toujours pas de drapeaux bernois aux fenêtres, quand les couleurs jurassiennes s’y affichent comme pour un jour de victoire. Nul ours aux balcons. «Notre vote n’est pas un vote pour Berne, mais une vision pour l’avenir de la région», réexplique le porte-parole du non.
Un drapeau bernois pointe enfin son museau, comme venant de nulle part. Il virevolte, tenu par la fenêtre avant d’une Audi noire aux vitres arrières teintées. La voiture va et vient, est bloquée à un passage-piétons situé devant un burger où sont rassemblés des séparatistes chez qui le masque semble être en option. L'un d'eux jette le fond de son verre à la tête du passager du véhicule, qui repart.
Steve Léchot bluffe-t-il? Toujours est-il qu’il confie une «petite déception» lorsqu’on lui fait part de la nouvelle de la veille: le gouvernement bernois qui émet des doutes sur l'honnêteté du registre électoral, soupçonnant par là même un possible tourisme électoral à l’avantage des séparatistes. «Le gouvernement bernois avait pourtant fourni toutes les garanties», poursuit-il, comme s’il regrettait cette «fuite». En tout cas l’occasion est donnée au camp du «non» de faire recours dès ce soir si le «oui» l’emporte.
Edgard, 89 ans, et l’homme qui l’accompagne au bureau de vote, sont séparatistes. Edgard est de Moutier, jurassien de cœur et peut-être ce soir le sera-t-il aussi de papier. Durant les années de braises de la décennie 70, il était dans la bataille. «A l’armée, j’étais grenadier. Ça m’était utile. Dans les rangs jurassiens, disons que j’étais grenadier indépendant», sourit-il derrière son masque.
Pour Edgard et son accompagnateur, un «non» en fin d’après-midi n’est pas envisageable. «En 2017, ils nous ont volé la victoire, affirme la personne qui accompagne le vieil homme. Le vote favorable au rattachement au canton du Jura avait été invalidé en raison d’une communication jugée partiale de la municipalité autonomiste prévôtoise. Là aussi, on évoque un «recours inévitable» en cas de «non» cette fois.
Ça ne s’arrêtera donc jamais ? «Ça peut finir dans le marigot», image Steve Léchot. Encore quelques heures avant une délivrance qui sera peut-être contrariée, qui qu’elle contente sur le coup.