Dans le monde des services secrets, les gens hésitent généralement à se faire remarquer. Mais la règle politique n'empêche pas les exceptions militaires, comme en témoignent les déclarations fracassantes conjointes, le 6 juillet, du chef des services secrets britanniques MI5 Ken McCallum, et de son homologue américain, le directeur du FBI Christopher Wray.
Les deux spécialistes de la sécurité ont voulu témoigner d'une image forte en se présentant ensemble à Londres devant un parterre de personnalités issues du monde académique et des affaires. En termes emphatiques, ils ont mis en garde leurs partenaires européens contre le danger mondial émanant du Parti communiste chinois, lequel se montrerait «de plus en plus autoritaire».
Selon le patron du MI5, l'espionnage industriel et les universités occidentales sont particulièrement au centre des préoccupations de la Chine. Cette année, l'agence britannique de renseignement intérieur mène sept fois plus d'enquêtes liées à la Chine qu'en 2018. Le FBI quant à lui ouvre deux nouvelles enquêtes par jour sur les activités chinoises.
Today in London, #FBI Director Christopher Wray and #MI5 Director General Ken McCallum addressed the threat posed by the Chinese Communist Party and the Chinese government, and why partnerships are crucial to combating it. Read more at: https://t.co/ASdtLyGbpc. pic.twitter.com/sjaOpXFRDG
— FBI (@FBI) July 6, 2022
Cette mise en garde, semble-t-il, s'adresse également à la Suisse. Les services de renseignement chinois travaillent aussi sur territoire helvétique au nom de leur gouvernement. Ils sont surtout actifs à Genève, siège de l'ONU et QG pour de nombreuses autres organisations internationales et ONG. Dans son dernier rapport de situation daté du mois de juin 2022, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) a décrit la cité de Calvin comme un «point focal d'espionnage».
Selon l'organe de surveillance, «plusieurs Etats genevois ont récemment renforcé leurs structures de renseignement». Cela a aussi à voir avec la «concurrence accrue des grandes puissances», qui comprennent les États-Unis, la Russie et la Chine. Encore selon le service, les activités d'espionnage à Genève devraient s'intensifier à l'avenir.
Contacté par CH Media, le SRC ne fournit aucune réponse directe aux questions détaillées sur les activités des services secrets chinois en Suisse. L'organe de surveillance ne révèle pas non plus comment il traite et évalue les avertissements du FBI et du MI5. «Le SRC ne commente pas les déclarations des services secrets de pays tiers», écrit la porte-parole du SRC Carole Wälti. Si cette dernière admet que les activités de contre-espionnage représentent une part importante des activités du SRC, le service préfère opter pour la discrétion.
Interrogé, Erich Schmidt-Eenboom, expert des services secrets allemands et publiciste, est bien plus explicite. «Les Chinois sont très actifs dans le renseignement à Genève», déclare-t-il à CH Media.
Selon ces informations, la Chine a posté le troisième plus grand nombre d'officiers du renseignement déguisés en diplomates dans la ville traversée par le Rhône, après la Russie et les États-Unis.
Leur cible principale? L'ONU et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), des ONG, ainsi que la surveillance et l'infiltration des membres dissidents de l'opposition. Détail de poids, les services de renseignement chinois ont toujours été «très actifs pour soutenir les intérêts économiques de leur pays à l'étranger».
Cette appréciation semble être partagée par les services de renseignement suisses. La Chine utilise «une partie importante de ses ressources de renseignement pour monitorer les acteurs économiques nationaux et étrangers, ainsi que les communautés et les individus perçus comme une menace», concède Carole Wälti.
En outre, la porte-parole pointe une étude de sept pages sur la Chine, tirée du rapport de situation du SRC de 2016. Il y est fait mention de «l'influence économique et idéologique» accrue de la Chine en Suisse.
La Suisse a-t-elle expulsé des diplomates chinois du pays en raison de leurs activités de renseignement? Le service de surveillance fédéral ne souhaite en tout cas pas le révéler. Mais pour le spécialiste Erich Schmidt-Enboom, de telles mesures sont comme une «épée à double tranchant».
D'une part, elles entraîneraient des contre-mesures agressives. D'autre part, du point de vue du contre-espionnage, il est souvent plus avantageux de tolérer sur ses terres la présence d'agents secrets connus, et dont les procédures et les réseaux sont au moins partiellement connus.
Car n'oublions pas que, s'ils sont expulsés, les agents découverts seront tout bonnement remplacés. «La Chine enverra de nouveaux agents déguisés en diplomates, et le SRC devra recommencer son travail de profilage à zéro», termine Erich Schmidt-Enboom.
(traduit de l'allemand par jod)