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La surveillance chinoise harcèle un journaliste suisse à Berne

Ambassade de Chine à Berne, surveillée par des agents de sécurité et de nombreuses caméras.
Ambassade de Chine à Berne, surveillée par des agents de sécurité et de nombreuses caméras.image: henry habegger

Comment la surveillance chinoise s'est imposée dans les rues de Berne

Un journaliste du groupe CH Media voulait juste se faire une idée de l'ambiance dans le quartier diplomatique de Berne. Il a ainsi fait l'expérience de ce que cela signifie de ne pas être le bienvenu par les régimes autoritaires.
12.01.2023, 05:5512.01.2023, 08:27
Henry Habegger / ch media
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L'agent de sécurité s'est approché du journaliste au coin de la rue, tout agité. Celui-ci avait photographié le bâtiment de l'ambassade de Chine, à Berne, avec un petit appareil photo. «Effacez les images», a exigé l'agent de sécurité. «Il est interdit de prendre des photos ici». Sinon, il appellerait la police.

Le journaliste a répondu qu'il avait pris des photos depuis la rue, soit le domaine public, et que c'était autorisé.

L'agent de sécurité, qui travaillait pour une entreprise suisse, a alors demandé les données personnelles du journaliste. Celui-ci a refusé et a dit quelque chose comme:​

«Pour que mon nom atterrisse dans un ordinateur chinois?»

L'agent a alors lancé que, dans ce cas, il devait «prendre le journaliste en photo». Après avoir sorti son téléphone portable, ce qu'il a nié par la suite, l'agent de sécurité a mis sa menace à exécution et a appelé la protection de l'ambassade de la police cantonale. Il avait ici «quelqu'un» qu'il fallait contrôler.

Plusieurs agents se sont rendus sur place et ont constaté que la prise de photos depuis la rue était bien entendu autorisée. Le journaliste a montré aux agents les photos qu'il avait prises et a effacé de lui-même les deux photos avec l'agent de sécurité qu'il avait également «photographié» en réaction à ses propos.

Hautes clôtures et caméras

On ne sait pas exactement ce qui a provoqué cette agitation chez l'agent de sécurité. Pas l'image anodine prise depuis la rue: sur Google, on voit beaucoup plus que cela. L'homme aurait, toutefois, réagi sous la pression de ses commanditaires: les Chinois. Car le journaliste avait auparavant photographié les mesures de sécurité massives érigées le long du Bomontiweg, une ruelle qui jouxte l'ambassade chinoise.

Cela n'a probablement pas échappé aux troupes de Xi Jinping (le président chinois), qui auraient demandé à l'agent de sécurité d'intervenir.

La ruelle Bomontiweg à Berne, ou ce qu'il en reste. De hautes clôtures à gauche et à droite protègent les bâtiments de l'ambassade chinoise. Ceux qui empruntent le passage sont suivis à la trace par d ...
La ruelle Bomontiweg à Berne, ou ce qu'il en reste. De hautes clôtures à gauche et à droite protègent les bâtiments de l'ambassade chinoise. Ceux qui empruntent le passage sont suivis à la trace par des caméras. Ce n'est pas légal.image: henry habegger

Le Bomontiweg est un véritable théâtre: des clôtures métalliques de plusieurs mètres de haut protègent les bâtiments à droite et à gauche de ce passage pour piétons qui relie deux rues de quartier. Depuis les hautes clôtures, plusieurs caméras sont dirigées vers le passage, de sorte qu'aucun passant ne peut échapper à la surveillance de l'Etat totalitaire chinois.

Des caméras chinoises (à gauche et au centre, en haut de la clôture) surveillent le Bomontiweg.
Des caméras chinoises (à gauche et au centre, en haut de la clôture) surveillent le Bomontiweg.image: henry habegger

L'ambassade turque s'en mêle

La police a pris, séparément, les identités du journaliste et de l'agent de sécurité. C'est alors que deux représentants de l'ambassade de Turquie, située juste à côté, en costume et lunettes de soleil, sont arrivés. Ils ont exigé de la police cantonale, en gesticulant, qu'elle vérifie que la caméra du journaliste ne comportait pas d'images d'institutions turques. «C'est fait», a répondu l'un des fonctionnaires. «Tout est en ordre».

L'intervention était sensiblement embarrassante pour les fonctionnaires, mais leur but était manifestement de ne pas fâcher les ambassades étrangères. Et plus les régimes sont autoritaires, plus ils demandent à la police bernoise d'agir de manière drastique, explique une source proche du dossier.

Les agents de sécurité privés, sont eux aussi, comme le montrent des investigations ultérieures, soumis à une pression massive de la part de leurs commanditaires autoritaires qui pensent pouvoir agir à Berne comme ils le font à Pékin ou Ankara.

Le Bomontiweg vu d'en bas. Les toilettes mobiles pour les agents de sécurité ont été installées par les Chinois après l'intervention de voisins. Les agents de sécurité, qui n'ont pas accès au site de  ...
Le Bomontiweg vu d'en bas. Les toilettes mobiles pour les agents de sécurité ont été installées par les Chinois après l'intervention de voisins. Les agents de sécurité, qui n'ont pas accès au site de l'ambassade, dépendaient auparavant de la bonne volonté des habitants lorsqu'ils avaient besoin de faire leurs petites commissions.image: Henry Habegger

Un territoire chinois

Et cela ne fait qu'empirer. Les Chinois, justement, font ce qui leur plaît à Berne. Au grand désarroi de nombreux riverains, ils ont acheté il y a quelques années, après l'immeuble du Kalcheggweg 10 où se trouve l'ambassade, la villa Bomonti au Kalcheggweg 12. Le Bomontiweg est, depuis lors, pratiquement devenu un territoire chinois. Les habitants du quartier craignent que la ruelle «soit fermée tôt ou tard», comme le rapportait il y a quelques années le journal bernois Bund.

L'Arabie saoudite ne serait pas concernée par cette possibilité de fermeture: les Saoudiens, dont la résidence de l'ambassade borde le Bomontiweg, disposent d'un droit de passage piéton inscrit au registre foncier.

Les riverains sont convaincus que les Chinois ont installé depuis longtemps une centrale d'espionnage et d'écoute, bourrée de matériel high-tech, dans leurs immeubles bernois. Lors de la rénovation, seul du personnel chinois aurait été utilisé. Les personnes auraient été en service pendant quelques mois, puis remplacées. Les lignes électriques tirées par l'entreprise d'électricité auraient également une capacité plusieurs fois supérieure à celle nécessaire pour un immeuble de bureaux ordinaire.

A cela s'ajoute le fait qu'en 2018, l'inspection bernoise des constructions a constaté des «travaux illégaux» au rez-de-chaussée de l'immeuble du Bomontiweg, comme l'a rapporté le Bund. «En revanche, les Chinois n'ont pas autorisé l'accès à l'étage supérieur», précise le journal. Ils n'étaient d'ailleurs pas tenus de le faire en vertu du droit international public qui place les biens immobiliers diplomatiques largement hors du contrôle de l'Etat hôte.

Les nerfs sont à vif

Les habitants de longue date souffrent de plus en plus dans le quartier des ambassades à Berne, et pas seulement à cause des Chinois. Entre nouvelles guerres et anciens conflits, la situation internationale est tendue. Cela se répercute directement sur le quartier, où amis et ennemis sont souvent proches les uns des autres. La semaine dernière, la NZZ a relaté un conflit de voisinage concernant des véhicules russes qui a dégénéré après la guerre en Ukraine. La situation est explosive, les nerfs sont à vif.

Mais pour les voisins, comme le montrent de nombreuses conversations, la protection de l'ambassade est aussi parfois un problème. A leurs yeux, cette protection s'engage davantage pour les diplomates que pour les intérêts des habitants. On parle par exemple de policiers sous-employés qui laissent les véhicules diplomatiques mal garés sans être inquiétés, parce qu'ils ne paient de toute façon pas l'amende. En revanche, ils distribuent des contraventions aux visiteurs des riverains. Mais cela ne se produit que par beau temps, constate une observatrice: «Par mauvais temps, les policiers restent dans leurs cabanes».

Traduit de l'allemand par Nicolas Varin

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