«Ta mère à poil sur un char à la Street Parade!» Avant, il n’y a pas si longtemps, ça se dit peut-être encore, c’est comme ça que les gamins se charriaient. Là, c’est pas «ta mère», c’est Alain Berset, conseiller fédéral en poste jusqu’à la fin de l’année. Il ne faudrait pas que l’apparition du ministre de la Culture à la grande foire annuelle du queer électro, samedi à Zurich, boa de cabaret autour du cou, bière et cigare de loulou dans chaque main, soit rangée illico à la rubrique «y’en a point comme nous» des classeurs fédéraux.
C’est l’une des tonalités des réseaux sociaux suite à la diffusion de la vidéo montrant Alain Berset à bord d’une «love mobile»: la décontraction affichée par le président de la Confédération (oui, cette année, c’est lui) témoignerait de la saine exception du système politique suisse. Comprendre: ici, on ne se la pète pas.
A côté de cette glorification de la simplicité des élus (pas sûr qu'Alain Berset entre dans cette catégorie), il y a la réprobation. Fort heureusement, elle ne porte pas sur la participation du Fribourgeois à un événement festif de nature inclusive – la Suisse alémanique, où les «faits» se sont produits, est un havre de tolérance. Elle tient à l’image renvoyée, non par le ministre de la Culture, mais par celui de la Santé qu’il est aussi et surtout. Une image pour le moins contradictoire. Bière et cigare: comment peut-on s’assoir à ce point sur la lutte contre les méfaits de l’alcool et du tabac quand on est soi-même investi de ce combat au plus haut niveau de l’Etat? La critique pourra paraître rabat-joie, elle n’est pas infondée.
Pour sa défense, Alain Berset fera peut-être valoir la vertu de la transparence, associée à la banale vérité de la condition humaine: eh bien oui, que voulez-vous, tout ministre de la Santé que je suis, il m’arrive de fumer le cigare et de boire une bière. Là encore, simplicité. Pas comme ailleurs...
Mais on peut ne pas totalement adhérer au comportement plein de coolitude de la fin de règne du Fribourgeois. Il a donné sa dem? Ce n’est pas une raison pour ne pas assumer jusqu’à la fin le rôle codifié qui va avec le job de Sage fédéral. Sa participation à la Street Parade n’est pas ici en cause. Mais il aurait pu éviter la mise en scène, car c’en est une. Certes, des conseillers fédéraux UDC versent dès qu'ils le peuvent dans la folkloritude identitaire, avec toute leur panoplie de chemises à carreaux et dernièrement d’armaillis.
Mais ni la canette ni le cigare ne s’imposaient. C’est une chose de marquer de sa présence un événement culturel à divers titres, synonyme de grande ouverture d'esprit. C’en est une autre de donner l’impression de prendre des libertés avec des recommandations faites à longueur d’année par ses propres services. Les covido-sceptiques vont s’en donner à cœur joie.
Sans doute y a-t-il dans «Berset à la Street Parade» une dimension électoraliste à deux mois et dix jours du scrutin fédéral. Le Parti socialiste pourra exploiter cette image au fond sympathique d'un conseiller fédéral pas coincé. Mais attention quand même, on est à ça du bras d’honneur.