La chute du mur de Berlin et du communisme à sa suite date de 1989. On pouvait penser que l’imagerie du communisme triomphant, en ses expressions soviétique et maoïste, était reléguée aux poubelles de l’Histoire. Du moins en Occident et dans ce qu’il est convenu d’appeler les partis de gouvernement. Il semblerait que ce ne soit pas le cas.
Une affiche des Jeunes socialistes suisses (JS Suisse), conçue pour les élections fédérales d’octobre, puise dans les codes d'une idéologie qui, au nom d’un avenir prétendument radieux, a fait des millions de victimes: famines, exécutions, déportations, goulag en ex-URSS, laogaï dans la Chine de Mao. La Jeunesse socialiste suisse ne peut ignorer ce passé communiste. Or, quoiqu’elle en dise, en produisant un visuel d'inspiration soviétique et maoïste, elle s’affranchit d’un tabou, par lequel nous considérons que tout ne peut pas se faire en politique.
«Un homme, ça s’empêche», disait Albert Camus. Cette légende de la littérature du XXe siècle s’opposait aux communistes français de l’après-Seconde Guerre mondiale, soutiens de Staline. Dans ces années de guerre froide, il était l’antithèse d’une autre légende, Jean-Paul Sartre, pour qui la fin justifiait les moyens.
Les Jeunes socialistes suisses ne se sont pas empêchés sur ce coup-là. Ils se sont arrangés avec le passé. Peut-être se sont-ils dit qu’«à la base», l’image d’un soleil irradiant le ciel de mille feux, fût-elle associée à des régimes totalitaires, n’était pas en soi un mal, mais un bien, quelque chose de positif qui aurait été sali par des tyrans indignes de la noble cause prolétarienne. Sauf qu’on ne peut pas détacher un contenu de ses conditions de production historiques. Sinon, on entre dans l’ère du relativisme, où plus rien n’est tabou, où plus aucune hiérarchie ne vaut.
Le grand quotidien français Le Monde, peu soupçonnable de sympathies pour le totalitarisme, s’était égaré en représentant le président de la République Emmanuel Macron dans une esthétique nazie qui se voulait constructiviste. C’était en 2018. La direction du Monde avait présenté ses excuses, tant cette image était outrageante, non seulement pour le chef de l’Etat, mais aussi pour les descendants des victimes de la Shoah et accessoirement pour le journal lui-même et les valeurs démocratiques qu’il incarne.
Hâte de comprendre ce qui fonde les références graphiques et iconographiques du @lemonde_M S’il ne peut s’agir de hasard, de quoi s’agit-il alors ? À la recherche du sens perdu... pic.twitter.com/MHMmia0G2c
— Richard Ferrand (@RichardFerrand) December 29, 2018
Aujourd’hui, au nom de l’«urgence», essentiellement climatique, tout semble possible à certains. On pense aux actions de Renovate Switzerland. Mais, à ce compte-là, demain, bientôt peut-être, des groupuscules d’extrême droite, sinon des voix dans l’UDC, invoqueront pareillement l’«urgence» pour stopper l’immigration. Pour l’heure, cela se passe dans le cadre démocratique, par voie d’initiatives, mais un jour, une jeunesse nationaliste pourrait agir en court-circuitant le processus de la démocratie directe, parce que jugé inadapté face à l’«urgence».
Des antivax, des complotistes, mais d’autres aussi qui ne sont a priori ni l’un ni l’autre, prennent prétexte de l’urgence décrétée par le Conseil fédéral durant la crise Covid, puis dernièrement pour sauver Credit Suisse de la banqueroute, pour avancer d’autres urgences, qui seraient tout aussi légitimes.
En remettant en cause la légitimité de l'Etat pour faire valoir sa propre urgence, on en vient à tout relativiser, partant, à tout se permettre. Comme, en 2007, cette affiche de l’UDC pour sa campagne contre la criminalité étrangère, représentée par des moutons noirs, un code couleur identifiable aux personnes noires. Là non plus, l’UDC ne s’était pas empêchée. S’agissant de la Jeunesse socialiste, il n’est pas trop tard pour retirer une affiche qui n’a pas encore été placardée.