Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le dimanche 9 février 2014? Moi, oui. J'avais 16 ans et je pleurais comme une madeleine devant ma télé. Ce jour-là, on annonçait officiellement les résultats de la votation sur l'immigration de masse. L'initiative était acceptée à 50,3%, à 19 302 petites voix près.
J'avais 16 ans et aucune envie de voir ce texte passer, avec toutes les conséquences potentielles sur mon avenir et, surtout, strictement aucun moyen de faire entendre ma voix. À part tempêter devant l'écran et insulter le journaliste (oui oui, je l'ai fait, pardon cher collègue), qui n'y pouvait pas grand-chose. Je n'avais encore jamais éprouvé un tel sentiment d'impuissance.
Alors ok, j'ai grandi dans un environnement qui m'a permis de m'intéresser très jeune à la politique et de me sensibiliser à ses enjeux. J'ai conscience que ce n'est pas le cas de tous les jeunes, ce que craignent d’ailleurs les voix réfractaires à l’abaissement du droit de vote à 16 ans, qui l’imaginent comme, au pire, la porte grande ouverte à une vague d'irresponsables incompétents. Ou, au mieux, une manière efficace d'augmenter encore un peu l'abstentionnisme déjà crasse. Et pourtant!
Je me suis demandé pourquoi c'était important, aujourd'hui, dans mon pays, que les moins de 18 ans puissent faire autre chose que bombarder de noms d'oiseaux le présentateur. Et je vois cinq bonnes raisons.
Peut-être que ça tombe sous le sens, mais il n'est pas inutile de le rappeler. Les jeunes sont les plus concernés par les décisions prises par leurs aînés. N'est-il pas légitime qu'ils aient voix au chapitre?
Les ados ont pourtant bien prouvé ces derniers mois qu'ils prenaient leur avenir au sérieux. Des dizaines de grèves pour le climat se sont succédé depuis 2019. Combien, parmi ces manifestants descendus dans la rue pour dénoncer l'urgence climatique, sont mineurs, et donc dépourvus du droit de vote?
On reproche fréquemment aux activistes de préférer les actions illégales et de ne pas s'exprimer davantage au travers du politique. D'accord, il y a ceux qui souhaitent mettre à bas ce bon vieux système. Mais il y a aussi ceux qui ne peuvent pas faire entendre leur voix par le biais de la politique.
«Les abstentionnistes forment le plus grand parti de Suisse», dit un adage. Avec une participation aux votations qui tourne autour des 48%, moins d'un citoyen sur deux décide de l'avenir du pays.
Alors, certes, ouvrir le droit de vote avec deux années d'avance ne va probablement pas chambouler ce «maigre» taux de participation. Mais cela permettrait certainement de sensibiliser plus rapidement aux questions citoyennes, et - qui sait - de renforcer la contribution des 18-34 ans, dont on sait qu'elle n'est pas très élevée (33% en 2019 contre 62% chez 65-74 ans).
Pour rappel, c'est à 16 ans que s'achève l'école obligatoire. On estime donc que les jeunes sont suffisamment formés et responsables pour (commencer à) se jeter dans le vaste monde, qu'il soit professionnel ou estudiantin. Si l'on demande à un adolescent de choisir sa profession et dans quelle direction il souhaite orienter sa vie, il est certainement tout aussi capable de prendre des décisions à plus grande échelle. Décisions loin d'être abstraites, puisqu'elles pèsent concrètement sur son futur.
Baisser l'âge du droit de vote serait aussi l'occasion de renforcer l'éducation civique au cycle secondaire et de préparer suffisamment tôt les élèves à l'exercice de leur citoyenneté. C'est l'occasion de créer de bonnes habitudes.
Sans compter que ce ne serait pas du luxe de rappeler aux petits veinards cette chance immense que nous avons de vivre en démocratie.
Pas besoin d'aller à l'autre bout du monde pour observer les conséquences d'un droit de vote à 16 ans. On est loin de l'apocalypse que prédisent certains opposants. Passé la barrière de rösti, dans le canton de Glaris, le vote est autorisé aux jeunes de 16 ans depuis 2007. Sans transformer radicalement le paysage politique du canton, la fameuse Landsgemeinde plus que centenaire a fait une cure de jeunesse, et les autorités ont aussi constaté un regain d'intérêt pour la question.
L'Autriche l'a également adopté depuis une dizaine d'années. L'expérience s'avérerait concluante: en 2008, les jeunes de 16 et 17 ans ont été 88% à voter pour la première fois. Pour les élections de 2013, ils étaient encore 63%.
🗳« On ne se réveille pas dans la nuit de son anniversaire à 18 ans [...] en étant beaucoup plus mature. » Pour @DDreuil, les jeunes de 16 ans sont déjà suffisamment responsables pour voter. Qu'en pensez-vous ?
— 28 minutes (@28minutes) March 26, 2021
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Qu'on se le dise, il reste de nombreux de jeunes qui n'ont pas grand-chose à cirer de leurs droits civiques. La politique leur passe à des kilomètres au-dessus de la tête. Pouvoir décider si les vaches pourront ou non porter des cornes les émeut sans doute moins qu'une vidéo TikTok bien foutue.
Ces jeunes-ci ne s'amuseront certainement pas à ouvrir leur enveloppe de vote. Dans le pire des cas, les flemmards indifférents iront seulement grossir les rangs des 52% d'abstentionnistes déjà existants, qui laissent aux autres citoyens le soin de décider pour eux.
Moi, j'ai vaincu mon traumatisme de 2014 en profitant allègrement de mon accession au droit de vote. Mon sentiment d'impuissance reste parfois cuisant (je ne peux toujours pas élire le président des Etats-Unis ou faire bouger les politiciens plus rapidement, ni même forcer les autres à voter comme moi, dommage). Et je continue parfois à insulter les présentateurs quand ils n'annoncent pas ce que je veux. Mais si on peut ôter cette frustration à quelques jeunes pleins de bonne volonté aujourd'hui, ça vaut le coup.
Les ados sont réputés fougueux, mais ils ne sont pas (toujours) idiots. Faisons-leur un peu confiance.