Un drame s’est produit ce week-end à Lausanne. Ce drame, c’est celui d’un jeune homme de 17 ans qui a chuté mortellement d’un scooter volé dans la nuit de samedi à dimanche, alors qu’il était poursuivi par des agents de la police municipale en voiture. Fallait-il engager la poursuite? Aurait-il mieux valu s’abstenir de le faire en comptant attraper le fautif ultérieurement? Les avis sur le mode opératoire des forces de l’ordre seront certainement partagés, y compris, peut-être, au sein de l’institution policière.
Il y a vingt ans, le 27 octobre 2005, une course poursuite à Clichy-sous-Bois entre des policiers et un groupe d’adolescents s’achevait par la mort de deux d’entre eux, électrocutés dans le périmètre d’un transformateur électrique où ils pensaient avoir échappé à la police. Cette tragédie, en plus d’autres incidents, allait mettre le feu aux banlieues françaises.
Les contextes ne sont assurément pas les mêmes. La Suisse ne connaît pas le phénomène d’un déclassement social doublé d’une relégation géographique. Il faut dire que le poids de l'histoire coloniale ne pèse pas sur ses épaules.
Il n’empêche. Un sentiment de moins en moins confus se répand, selon lequel la Suisse romande ressemblerait pour son malheur de plus en plus à la France dans ce qu’elle a de pire en termes d’incivilités et de criminalité.
Au lendemain de la mort du jeune scootériste, vous trouverez peu de commentaires empathiques avec la victime sur les réseaux sociaux, mais beaucoup de remarques ayant un caractère raciste et d’autres de soutien aux forces de l’ordre.
De son côté, la France est accusée d'avoir une mauvaise influence sur les comportements répréhensibles d’une jeunesse urbaine issue de l’immigration.
Il y a là à la fois du déni et de l’exagération. Du déni, d’abord. Pour dire les choses de façon schématique, les Romands francisent le mal et helvétisent le bien. Cette inclination d’église témoigne du sentiment de vulnérabilité d’un territoire somme toute restreint, qui s’en remet aujourd’hui à sa frontière comme à son chapelet.
Parfois à raison: pensons à ces raids effectués dans les campagnes romandes par des voyous venus de France voisine dévaliser les bancomats, les bijouteries ou les fabriques.
Mais, ce faisant, cette même Suisse romande, comme morte d’inquiétude pour elle-même, ne veut pas voir qu’elle n’est plus celle qu’elle était encore il y a quarante ans. Les accents cantonaux s’estompent et font place à un parler vaguement «wesh», fait de darons et de daronnes. Les Romands qui se croient purs attribuent à la France et son poste avancé «Genève» cette influence jugée délétère.
L’exagération, maintenant. Non, la Suisse romande n’est pas encore la France avec ses problèmes paraissant insolubles. L’intégration sociale par la formation reste une affaire qui, globalement, fonctionne bien. L’intégration politique par le système de milice et l’obligation de consensus permet d’éviter l’écueil du conflit permanent. Le «c’est comme ça et pas autrement», qui a quelque chose d’un peu sec, n’offre aucune alternative citoyenne à ceux qui ne veulent pas se couler dans le moule.
On ne saurait trop conseiller à la gauche radicale de ne pas jouer à la Suisse coloniale repentante. Il n’y a rien à y gagner en termes de cohésion sociale. Les descendants de l’immigration ne sont pas des victimes. De même peut-on demander à la droite identitaire de ne pas surjouer la partition de la Suisse pervertie par l’immigration. Le mieux est de s’en tenir à ce qui fait société: l’esprit d’accueil et le respect des convenances.