Faire primer les conventions collectives de travail (CCT) sur les lois cantonales? C'est ce que le Parlement a accepté mercredi soir. Une bonne intention? Pas si cela biffe le salaire minimum, voté dans plusieurs cantons.
A la suite des Etats, le Conseil national a accepté, par une très faible majorité (95 contre 93), une motion nommée «Protéger le partenariat social contre des ingérences discutables». La droite et une majorité du Centre ont rendu ce vote possible.
Problème: certaines de ces CCT ont des salaires minimaux plus bas que ceux acceptés par des votations populaires cantonales, comme à Genève ou à Neuchâtel.
Vouloir appliquer les CCT de manière plus élargie n'est pas une mauvaise idée, bien au contraire, et participe au renforcement des droits des travailleurs comme des intérêts du patronat. Fair enough. Paix du travail, tout ça, on connaît. C'est super (non, sérieux, c'est très bien).
Mais, sans clause assurant que les salaires minimaux prévus dans certains cantons et décidés démocratiquement soient maintenus avec les CCT, cela peut aussi vite devenir un outil pour faire pression sur les bas salaires.
De fait, la majorité de droite, en votant ce texte, a tout simplement grugé la volonté populaire de plusieurs cantons, qui avaient voté démocratiquement pour un salaire minimum. Notamment: Neuchâtel en 2011 et Genève en 2020.
Ce n'est pas tout. La majorité du National n'a pas seulement décidé de court-circuiter la volonté populaire cantonale, mais aussi d'ignorer une décision du Tribunal fédéral de 2017, qui légitimait ces votations.
La haute instance juridique qualifiait ces décisions de relevant de la lutte contre la pauvreté, donc du social, qui dépend des cantons. Le déni de démocratie est donc double et trans-institutionnel. Un coup bas d'autant plus symbolique en cette fin d'année 2022 où le mot «inflation» est sur toutes les lèvres.
A noter: presque tous les membres de l'UDC ont voté pour le texte. Une hypocrisie, car ce parti pourtant d'habitude prompt à critiquer les décisions centralisatrices appliquées aux cantons et aux régions périphériques, a fait fi de la souveraineté de ceux-ci. Le coprésident du PS, Cédric Wermuth, n'a pas manqué de le faire remarquer directement en direction du groupe UDC, lors des discussions, mercredi soir.
Le socialiste argovien a également rappelé l'évidence. Il est possible de se positionner contre le salaire minimum, et pour tout un tas de bonnes raisons. C'est vrai. Mais leur décision est légitime et vouloir les outrepasser, un déni de démocratie — bien peu confédéral et parfaitement cynique.
D'autant plus que le camp bourgeois a ensuite renvoyé les possibles futurs problèmes aux partenaires sociaux et évoqué la confiance comme base de travail. Quelques arguments en carton-pâte pour rajouter un coup de vernis et justifier à bas prix une situation anti-démocratique et indigne.
Le Conseil fédéral doit récupérer le dossier pour en faire un projet de loi. Situé du côté de la minorité perdante au National, il devra faire attention à respecter la volonté populaire tout en appliquant les CCT à plus grande échelle.
Une clause interdisant d'appliquer des salaires présents dans les CCT plus bas que ceux décidés dans les cantons sera-t-elle intégrée? On attend du Conseil fédéral qu'il respecte davantage les décisions cantonales que le Parlement. Ce serait la moindre des choses.