Il y a ce sentiment. Un peu amer. Celui d’avoir assisté à un show digne de la télévision américaine. Mais en allemand et en français. Une conférence de presse à la mise en scène lustrée et à la mécanique huilée. En streaming, plusieurs caméras, deux communicants sur le plateau pour distribuer les questions des journalistes qui devaient les poser par écrit.
D'accord, c'est leur métier, mais cette fois c'était un show privé qui n'avait comme unique pitch (attendu) qu'une franche et transparente introspection. Résultat: nous avons eu droit à un spectacle dont l'emballage a étouffé son contenu. Du coup, une fois péniblement concentré sur le fond, comme souvent quand le vernis est trop beau, c’est la déception.
Vrai que la SSR a annoncé des mesures. Vrai que la SSR a reconnu la nécessité d’un changement de paradigme. Vrai que la SSR a annoncé l’adoption d’une politique de tolérance zéro en matière de comportement inadéquat, à l’origine de la crise.
Problème: en y réfléchissant bien, c’est aussi vrai qu’on peine à comprendre l’écart entre les conclusions du rapport et les discours des anciens et nouveaux dirigeants de la RTS et de la SSR.
Il y a surtout les sanctions qui n'en sont pas vraiment. Le rapport d’enquête externe baptisé «Chaîne de responsabilités» pointe des dysfonctionnements graves, d'autant plus pour une entreprise de service public. Dans ce rapport, on peut lire «malaise profond» ou encore «manque de confiance dans certains membres de la hiérarchie». Or, personne n’endosse de réelles responsabilités pour la construction et la reproduction de cette culture d’entreprise délétère.
Des trois personnes concernées par l’enquête, une première est blanchie (Darius Rochebin), une autre quitte l’entreprise (Robert), et une troisième (Georges) ne reçoit qu’une tape sur les doigts, mais reste à la RTS. Le responsable des Ressources humaines, lui est démis de ses fonctions, mais va se voir attribuer un nouveau poste. Quant au chef de l’Actualité TV, Bernard Rappaz, il quitte l'entreprise.
Directeur de la RTS à l’époque de la plupart des faits, aujourd’hui big boss de la SSR (l'organe de tutelle de la RTS), Gilles Marchand est lui aussi pointé du doigt par le rapport pour des «insuffisances». Il a fauté mais reste en place.
Pourtant, le rapport relève qu’il «ne serait pas crédible de faire porter à ces personnes ou à certaines d’entre elles la conduite d’un changement de culture d’entreprise dès lors qu’elles incarnent une culture qui n’a pas pu ou su voir venir l’ampleur des problèmes qu’elle a indirectement contribué à développer». Selon la SSR, Gilles Marchand n’est pas concerné par cette mise en garde.
Ce qui est étonnant, c'est qu'à l'époque, alors directeur de la RTS, Gilles Marchand savait certaines choses et a d'une certaine manière contribué au lent et implacable grondement de cette crise. Comment peut-il dès lors être l'homme de la situation pour le changement de culture d’entreprise promis?
Au final, tout ça ressemble à un beau petit crachat au visage de celles et ceux qui ont souffert pendant ces années sombres de la RTS. Et qui souffrent de la situation aujourd’hui. On rappelle en passant que seuls 43 témoignages sur les 230 récoltés par le Collectif de défense concernent les trois cas évoqués par Le Temps. Quid des autres, qui expriment selon le rapport «des malaises ou doléances diverses»?
Le show donnait envie de croire. On aurait voulu y croire. Mais on n'y parvient pas. Avec toujours cet arrière-goût désagréable en bouche. Un show à l’américaine déroulé en français ou en allemand ne peut que sonner faux.