Huit mois de crise majeure, de constante prise à témoin, d’exposition permanente de soi. Sans doute est-il encore un peu tôt pour mettre un mot définitif sur ce que la RTS a donné à voir d’elle-même. Était-ce un #metoo? Une psychothérapie de groupe? Une tentative de putsch? Un classique conflit de travail? Doit-on parler de ce «moment RTS» au passé? Tout le sac est-il vidé? En tout cas beaucoup, comme un patchwork de thématiques, en est déjà sorti.
Passons sur le cas Rochebin – pour la première fois peut-être dans l’histoire du progressisme en Suisse romande, on s’est permis de révéler la vie intime d’un individu, non pas au nom de la loi, mais de la morale. Limitons-nous aux cas potentiellement condamnables dans un tribunal, pour la plupart liés à la problématique du harcèlement. Les rapports des 16 avril et 1er juillet en dénombrent quatre en tout, dont deux doivent faire l’objet de vérifications.
Pour une entreprise comptant 2000 employés, et sachant que les faits imputés sont pour partie anciens, quatre, c’est assez peu. C’est trop, bien sûr, c’est intolérable en termes absolus, mais on peut difficilement conclure ici à une culture du harcèlement. Les mesures prises à la suite de ces révélations sont un licenciement et une sanction formelle. Aucune des personnes mises en cause n’a eu affaire à la justice.
Disons-le pour être tout à fait clair: le harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, est un comportement à bannir. Et si la crise de la RTS aura été utile à quelque chose, c’est à mettre en garde tout candidat harceleur, homme ou femme, contre les risques socialement encourus.
Pour être plus clair encore, cette affaire RTS a surtout révélé la fringale politique opportuniste de tous les acteurs: la RTS qui veut laver son image de paquebot qui déborde de vieux mâles, le collectif féministe du «14 Juin» qui a empoigné le cas RTS pour tenter d'en faire l'étendard d'un combat, le Conseil fédéral avec Simonetta Sommaruga qui fait la maîtresse d'école maladroite, ceux qui veulent la tête du directeur général de la SSR Gilles Marchand, et ceux qui en profitent pour essayer de relancer l'initiative No Billag.
Le malaise qu’on ressent, placé face à ce dossier, tient à sa mise en scène façon Cour d’honneur du Palais des papes à Avignon, à une forme de narcissisme victimaire promu en performance collective, alors que les manquements rapportés n’ont manifestement pas l’ampleur du scandale. Or, tout, depuis le déclenchement de cette affaire, à la suite de l’enquête du Temps du 29 octobre dernier, se donne des airs de scandale.
L’affaire, elle, est devenue immédiatement grande cause féministe. Des revendications jusqu’alors en attente, telles la charte anti-sexiste ou l’éducation au langage inclusif, ont reçu un début d’application. Sous pression, la direction, embarquée dans cet apparent #metoo romand, a donné l’impression d’obtempérer à toute mise en demeure, allant dans un sens supposément féministe (un wokewashing), contre le patriarcat. Personne ne nie le poids des hommes dans les structures décisionnelles au cours des siècles, mais les choses, sur ce plan-là, ont commencé à changer, à la RTS même, avant l'irruption de la crise.
A ce propos, le 1er juillet, à l’occasion de la présentation anonymisée du rapport du Collectif de défense, est apparue une réalité à la fois plus complexe et plus banale, vécue dans d’autres entreprises, ce qui la rend non pas moins condamnable, seulement moins exceptionnelle.
Ce jour-là, on a ainsi appris: que des femmes aussi se seraient mal comportées; que la problématique du harcèlement serait mineure par rapport à celle dite de la souffrance au travail, se traduisant, selon les témoignages, par des abus de pouvoir et par le sentiment de ne pas suffisamment compter. Très peu, donc, d’une domination sexiste prétendument constitutive d’un patriarcat tout-puissant.
Les dégâts d’image n’en sont pas moins là pour la RTS, qui passe, ou est passée, pour une entreprise lubrique, beauf et machiste. La Suisse alémanique, qui a pris ou feint de prendre tout cela au pied de la lettre, a haussé les épaules comme si elle n’était pas vraiment surprise et froncé les sourcils pour signaler son agacement. Sur un plan plus politique, il semblerait que Gilles Marchand, directeur général de la SSR, dont le Syndicat suisse des mass médias veut la tête comme on revendique la victoire, n’ait pas que des amis outre-Sarine, où son poste en vue suscite des convoitises.
De cette année «RTS», on retiendra, entre autres choses, une pointe d'indécence, tant dans la présentation tragique des phénomènes dénoncés que dans l’utilisation idéologique, par certains employés de l’audiovisuel public, des instruments mis à leur disposition.