Disons-le sans trop de risques: la population a tort de croire que le danger du terrorisme, entre Rolle et Bümpliz, est plus prégnant que le réchauffement climatique. Comme elle se trompe en croyant que l’UDC est la solution magique face à toute notion d’insécurité, qu’elle soit réelle ou ressentie. En revanche, elle a raison d’avoir peur de ne plus pouvoir remplir son frigo et de s’agacer d’un parti écologiste qui n’a pas su se positionner clairement, face à un militantisme qui tape à l’œil autant que sur le système de nombreux Suisses.
L’électeur n’est pas un candidat ou un élu à Berne. Il n’est pas non plus politologue, journaliste ou membre d’un puissant lobby pharmaceutique. L’électeur est appelé aux urnes, souvent alourdi d’une responsabilité vaporeuse, qui est celle de préserver et d’honorer la démocratie. Cette grande chose un peu abstraite, rudoyée par des extrêmes populistes et empaillée par des gauches qui la réduisent peu à peu au rôle de bouclier humain, quand ce n’est pas la base même d’un programme politique. Joe Biden n’a-t-il pas décidé de rempiler quatre ans de plus à la Maison-Blanche simplement parce que, citons-le, «la démocratie est en jeu»?
L’électeur est un quidam politiquement inexpérimenté et passablement insécure, qui doit élire un congénère censé améliorer son quotidien. Celui qui va rendre la vie plus juste, plus douce, plus prospère, plus sûre. Et la seule cause qu’il défend, à tort ou à raison, c’est celle de son propre cul, voire celle de ses mioches.
Sans oublier cette fameuse prime qui, chaque année en octobre, ressemble davantage au montant de la récompense pour la capture d’un desperado mort ou vif, qu’à l’assurance de vivre en bonne santé. Et puis, manque de bol, le Proche-Orient est venu bombarder les ronrons fédéraux d'une campagne qui a eu toutes les peines du monde à passionner. Avec lui, les attentats de Paris et de Bruxelles, mais surtout le risque, latent et sournois, qui plane à chaque coin de rue.
L’électeur, quand il se rend aux urnes (les moins nombreux d’entre nous, comme d'habitude), n’élit pas celui qui dira froidement la vérité. C’est chiant et douloureux, la vérité. Il n’élit pas non plus un héros ou une marionnette. Il va choisir, un peu par hasard et parce qu’il a une bonne tête ou défend le bon parti, le candidat qui aura su lui prouver qu’il sera entre de bonnes mains. Avec l’assurance que ses préoccupations seront écoutées, entendues et utilisées comme matière première une fois l’élu penché sur sa tâche, dans les méandres d’une coupole bernoise beaucoup trop abstraite pour être rassurante.
Depuis la vague verte, en 2019 et au pied d’une crise Covid qui a fait, un temps du moins, espérer le retour de la nature sauvage et des biches dans les centres-villes, les Verts se sont littéralement acharnés sur le quotidien des Suisses, au nom d'une sauvegarde de la Belle bleue qui, à raison, n'attend pas. Dézinguer les vols en avion, flinguer la bidoche, menacer le réseau routier, tout en brandissant des taxes à tout va.
De s’asseoir sur leurs peurs primaires, comme d’autres se sont assis sur les autoroutes aux heures de pointe, au nom d’une urgence climatique qui les préservait de tout acte politique responsable et d’empathie citoyenne. En oubliant, enfin, que s'ils ont eu droit à leur vague, ce fût grâce à des électeurs modérés, désireux de déposer sincèrement leurs considérations climatiques, dans le grand bain où gisent déjà 1001 angoisses. Les Suisses, pour la plupart, ont peur des conséquences du réchauffement. Mais si une action climatique s’impose, en politique, surtout chez nous, on ne l’impose pas.
Avant que l'organe politique suisse se transforme en assemblée citoyenne douce et horizontale, militer n'est pas gouverner. C'est con, mais sans effort pour conjurer le sort, la guerre et le frigo vide auront toujours un meilleur porte-parole que la planète. On le regrettera sans doute un jour, mais, en politique, surtout en pleine campagne électorale, la fin (même du monde) ne justifiera jamais les moyens.