Le match semblait plié d'avance. En janvier dernier, les premiers sondages Tamedia annonçaient une victoire écrasante de la 13ᵉ rente AVS: 71% des Suisses y étaient favorables. «Vivre mieux à la retraite», pour ne pas dire vivre décemment, paraissait une proposition difficile à refuser. La simple correction d'une anomalie incompréhensible dans un pays comme le nôtre.
Car la Suisse est riche. Extrêmement riche, même. Quand il s'agit d'aider une banque ou d'acheter de nouveaux avions à l'armée, les milliards ne sont jamais un frein. Il était donc temps que ces gros billets servent à régler un problème capital: la chute du niveau de vie à la retraite et la précarité d'un nombre grandissant de seniors. Rappelons qu'une personne âgée sur cinq flirte avec le seuil de la pauvreté en Suisse.
Mais au fil des sondages, l'avance a fondu. Le peuple allait-il, encore une fois, refuser une avancée sociale dans notre pays? La droite pouvait-elle réussir le tour de force de convaincre la population qu'il ne fallait pas aider les centaines de milliers de retraités qui peinent à boucler leurs fins de mois, simplement parce que d'autres vivent confortablement?
La victoire historique de ce dimanche est une immense bouffée d'air. Pour les seniors qui vont en bénéficier directement, mais aussi pour tous les citoyens de ce pays. En soutenant aussi largement la 13ᵉ rente, les Suisses ont envoyé un message clair à la droite et au Conseil fédéral: ils ne comptent pas continuer à se serrer la ceinture, à souffrir de l'inflation, alors qu'ils sont assis sur une montagne d'argent.
Il y a plusieurs manières d'être riches. On peut se comporter comme l'Oncle Picsou, se priver de tout, refuser d'aider ceux qui nous entourent, pour le seul de bonheur de voir notre compte grossir et de pouvoir se jeter dans un coffre-fort de pièces d'or.
Il n'est pas ici question de brûler la chandelle par les deux bouts et de jeter l'argent par les fenêtres. Les Suisses se sont toujours montrés raisonnables, c'est ce qui a fait le succès de ce pays au fil des générations. Mais à quoi bon être riche si on ne peut pas utiliser son argent quand on en a besoin? Offrir une retraite un peu plus décente à nos seniors n'avait rien d'un luxe, c'était bel et bien une nécessité.
Car le vote de ce dimanche ne va pas tout régler. Les retraités en difficulté vont peut-être sabrer le champagne ce soir, mais ils refermeront bien vite la bouteille. Et le pouvoir d'achat restera une préoccupation centrale pour beaucoup de Suisses. Les loyers, les primes maladie, les salaires, l'inflation, les chantiers seront nombreux dans les mois à venir. A la gauche et aux syndicats de s'engouffrer dans la brèche qu'ils ont brillamment créée.
Comment allons-nous financer cette 13e rente? Faut-il augmenter les cotisations sociales? Faut-il réduire la voilure dans d'autres domaines? Je n'en ai pas la moindre idée et cela m'est totalement égal. Je fais confiance au Parlement pour trouver la meilleure solution.
De l'argent, en Suisse, il y en a. La seule question est de savoir comment on veut le dépenser. Ce dimanche, on peut se réjouir que ces milliards soient enfin mis au service de la population et de son bien-être. Les Suisses ont retrouvé leur porte-monnaie dans la poche intérieure. Il était juste à côté du cœur.