Alien ou copain? Allez savoir… ChatGPT est le nouveau blockbuster de l’intelligence artificielle. Ce super Siri («Dis Siri, quelle est la capitale de l’Australie?») est un logiciel de dialogue virtuel conçu par l’Américain Open AI, partenaire de Microsoft. C’est surtout, dit-on, un formidable auxiliaire de rédaction, le bon pote (le faux ami ?) qui rédige un texte à votre place. Trop bien.
Non, pas trop bien, s’inquiètent les profs. Ils craignent que ChatGPT n’achève ce qu’il reste d’esprit créatif et de sens de l’effort chez les élèves. A quoi bon faire preuve de connaissances, d’imagination et de rigueur dans la composition d’un texte si une machine peut s’en charger? On pense aux cours de français, d’histoire et de géographie, entre autres.
Toute la Suisse romande enseignante parle de ChatGPT. Mais jusqu’ici, personne, dans le milieu des écoles, ne demande ouvertement l’interdiction de ce couteau américain des tournures de phrases, prohibé dans les écoles publiques de la ville de New York. A Berne, la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) ne se mouille pas. Son secrétariat invoque la souveraineté cantonale en matière d’enseignement.
Cela signifie-t-il qu’aucune concertation ne sera menée entre cantons sur un sujet qui les concerne tous? Apparemment pas. Comme l’indique à watson le Service de l’enseignement du canton du Jura, «ce point sera traité lors de la séance de la CIIP du 16 mars 2023». La CIIP, à ne pas confondre avec la CDIP d’envergure nationale, est la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin.
Qu’est-ce qu’on dit de ChatGPT dans le canton de Vaud ? Pour Yves Froidevaux, le secrétaire général de la Société pédagogique vaudoise (SPV), un syndicat d’enseignants, «il faut faire avec». Face au phénomène, la résignation critique paraît l'emporter sur l’adhésion aveugle. Faire avec, mais comment?
Le syndicaliste vaudois veut voir les choses de façon pratique. L’arrivée de ChatGPT sur le marché de la triche, l’écueil redouté, peut être «l’occasion de rapatrier de la maison à l’école certains devoirs, comme ceux de français, car tricher en classe, c’est déjà beaucoup plus difficile», dit-il.
Du vice, tentons de faire une vertu. Il s’agit de prendre ChatGPT à son propre jeu, comprend-on. L’interface de communication, réputée contenir des failles, deviendrait alors un outil de démystification, contribuant à l’édification du sens critique des élèves. Habitant à Gland, Yves Froidevaux a demandé à ChatGPT une description de sa commune : «Il me l’a décrite comprenant un château et un jardin botanique, or il n’y a ni château, ni jardin botanique à Gland», rapporte, amusé, le secrétaire général de la SPV.
«Pour l’instant, on regarde ce qui arrive», confie le Valaisan et président du Syndicat des enseignants romands (SER) David Rey, professeur de français, d’histoire et de géographie. «On n’a pas attendu ChatGPT pour filouter dans les devoirs faits à la maison», constate l’enseignant, qui relativise sans les minimiser les risques de ce robot conversationnel mais aussi rédactionnel.
Cela dit, «pas question d’accepter que ChatGPT fasse le travail à la place de l’élève», prévient le syndicaliste valaisan. Comme son confrère vaudois Yves Froidevaux, il préconise un usage critique pour cet objet numérique, comme une façon de démontrer par l’absurde les limites et failles de l’appareil. ChatGPT, un allié malgré lui dans la chasse aux fake news ou du temps perdu pour les professeurs, occupés à déminer les bombinettes de l’engin avec l’alibi du sens critique?
En France, un tweet publié mercredi a généré plus de 814 000 vues en 24 heures. Son auteur, maître de conférences en linguistique à Aix-Marseille Université, attire l'attention sur des soupçons de triche suite à la remise d'un texte impeccable par un étudiant abonné aux mauvaises copies:
Voilà : premier gros soupçon d'un devoir écrit à l'aide de #ChatGPT...
— Médéric Gasquet-Cyrus (@MedericGC) January 25, 2023
Pas de copié-collé apparent, mais un texte rédigé de manière impeccable et assez subtile, sans fautes, de la part d'un étudiant qui avait eu 4/20 et 7/20 à ses premiers devoirs.
Je fais quoi moi ?...
Opposant «historique» au numérique à l’école, le député libéral-radical au Grand Conseil genevois Jean Romain, professeur retraité, déplore, sans surprise, l’irruption de ChatGPT dans l’univers des élèves:
Là-dessus, au moins, tous les profs devraient être d'accord.