Ô glacier, dis-moi si tu es rentable et tu seras choyé
Empêcher la fonte des glaciers en les recouvrant, la stratégie fait fantasmer les optimistes climatiques et les professionnels du tourisme. La pratique coûte tellement cher que son utilisation est réservée pour des petites surfaces, selon une étude. La volonté de préserver ce stock solide d'eau douce déclenche parfois les idées les plus folles, comme «mettre de la couleur blanche sur les pentes environnantes pour augmenter le pouvoir réfléchissant des surfaces et donc renvoyer le rayonnement solaire pour amoindrir le réchauffement des glaciers», explique Matthias Huss, glaciologue zurichois. Si l'utilisation des couvertures thermiques géantes représente la solution la plus efficace, le scientifique précise que non seulement son coût est élevé, mais la fonte des glaciers ne peut pas être stoppée, juste très localement retardée: 60% de la fonte locale est ainsi sauvée.
- En 2004, le glacier Gurschenfirn sur le Gemsstock, au-dessus d’Andermatt (canton d’Uri), devient le premier de Suisse à être recouvert d’une bâche textile blanche. Grâce au dispositif artificiel, l'épaisseur de glace reste suffisante pour descendre à ski depuis l’arrivée des remontées mécaniques.
- Le glacier du Rhône (canton du Valais) est le plus facilement accessible (5 minutes de marche depuis la route seulement). Comme il contient une grotte artificielle, très touristique, 0.3% de sa surface est recouverte pour maintenir son épaisseur. Cet exemple illustre bien l'intérêt économique de l'usage des bâches sur les glaciers.
- Certains glaciers comme celui de Diavolezza (canton des Grisons), très petit, a même repris du volume.
Les photos des expéditions du glaciologue Matthias Huss
L'homme de terrain vient de clore une étude nationale, qui révèle que le coût d’un mètre cube de glace, conservé artificiellement, se situe en moyenne entre 0,60 et 7,90 francs par an, au cours de la dernière décennie. Hypothétiquement, recouvrir tous les glaciers du pays coûterait plus d’un milliard de francs par an. Qu'est-ce qui coûte aussi cher? Il y a évidemment le prix de la bâche, sa fabrication, son transport et son installation.
La technologie fonctionne et elle coûte cher. Mais alors quels sont les critères qui motivent une couverture de glacier? En Suisse, ils sont purement économiques et touristiques. «Dans nos Alpes, les glaciers ne sont pas des réservoirs d'eau d'importance vitale, contrairement en Asie centrale, où les habitants dépendent de l'eau des montagnes pour survivre», nuance le glaciologue. En Suisse, on peut survivre sans glacier mais c'est toute une identité nationale qui se retrouvera ébranlée le jour où tout fondra.
Il existe 1400 glaciers en Suisse. La plupart a beaucoup fondu, car ce sont de «petits glaciers». Les «grands glaciers» se calculent en centaine comme celui d'Aletsch, qui représente à lui tout seul 20% du volume total des glaciers suisses.
Où en sommes-nous avec l'utilisation des couvertures?
En Suisse ce ne sont que 0.02% des glaciers qui sont recouverts. Depuis 2013, la pratique tend à doubler chaque année.
Bilan: les bâches c'est bien, mais uniquement pour un usage local. «Il faut bien réfléchir avant de les installer. Il y a le coût, certes, mais nous ne connaissons pas encore l'impact des matériaux, qui se dégradent avec le temps et qui peuvent potentiellement polluer nos torrents. Enfin, si on recouvre tout, c'est moche, et les touristes ne viendront pas», résume le spécialiste avant de conclure: