Il est là, trônant à l'entrée du magasin, ultime rempart face au virus. Je le regarde et je m'interroge. Que dirait ce distributeur de désinfectant s'il pouvait parler? Qu'il se sent de plus en plus délaissé? Qu'il regrette que nous ne le caressions plus que d'une main distraite? Pour en avoir le cœur net, j'ai décidé de lui accorder un tête-à-tête, entre les caddies et les paniers à commission.
Posté à l'entrée d'un supermarché lausannois, je l'ai observé, je vous ai observé. Le constat n'a rien de scientifique, mais les chiffres sont instructifs. En trente minutes, 231 personnes ont franchi les portes du commerce. Seules 98 d'entre elles ont eu recours au désinfectant. Soit à peine plus de 40%. Les 133 autres sont passées tout droit avant d'aller fouiner dans les rayons avec leurs mains pleines de doigts.
Pourtant, à son arrivée dans nos vies au printemps 2020, juste après le Covid, le désinfectant avait tout de la potion magique. On s'en enduisait les mimines avec délectation. Avant le vaccin, avant le masque, c'était notre première arme face au virus. Au point que certains ont même tenté d'en boire.
On est bien loin de cette soif aujourd'hui. Pour tout vous dire, sur les 231 clients croisés mercredi midi, seuls deux ont réellement pris le temps de se désinfecter les mains correctement, d'une manière qui ressemble à ce qu'on nous a recommandé au printemps 2019.
Les autres, comment dire... On ne juge pas, on constate. Soyons francs, on a sans doute déjà tous fait pareil. Il y a ceux qui se frottent les mains pendant moins de trois secondes, ceux qui ne mettent du produit que sur le bout des doigts avant de se dépêcher de les secouer pour l'éliminer au plus vite. Il y a aussi ceux qui, occupés à téléphoner, à tenir leur sac de course ou à lire un livre, actionnent le distributeur d'une seule mimine (bravo pour la souplesse du poignet).
Spéciale dédicace également à ceux qui, constatant que le flacon est archi-vide, ne se jettent pas sur celui d'à côté, mais font tout de même mine de se frotter les mains.
Mais là où ce reportage devient encore plus intéressant, c'est pour son petit aspect sociologique. Très clairement, notre comportement face au distributeur est teinté d'un fort instinct grégaire. Pour le dire plus simplement: nous sommes des moutons.
Je vous l'annonce, après l'avoir observé à plusieurs reprises: si les deux clients devant vous ne se désinfectent pas les mains, il y a de grandes chances pour que vous vous sentiez autorisé à faire de même et à passer tout droit. De la même manière, dans les groupes, même si un individu fixe le produit plusieurs mètres avant l'entrée, il risque fort de sauter la case désinfection si ses camarades n'y prêtent pas attention.
A l'inverse, il est amusant de constater que, dès que deux ou trois personnes s'agglutinent près du distributeur, un embouteillage se crée et chacun tient à avoir sa dose. Même cette jeune femme qui est entrée dans le supermarché avec son masque sous le menton et qui ne l'a jamais réajusté.
En trente minutes, mercredi midi, 133 personnes sur 231 ont donc snobé le distributeur du magasin. Soit plus d'une sur deux. Mais tout n'est peut-être pas perdu. Une dame m'a fourni une explication aussi valable qu'inattendue: