«C’est très triste.» Jean-Michel Dorsaz, vigneron-encaveur à Fully, dans le Bas-Valais, a déjà fait une croix sur la moitié de sa récolte. «En année normale, ma production s’élève à 20 000 bouteilles. Là, si j’arrive à 10 000, ce sera déjà bien», prévoit l’homme de 55 ans, propriétaire de la Cave le Grillon, 2,5 hectares de vignes. «Mon père, âgé de 89 ans, n’a jamais vu ça depuis 1945, l’année de naissance de notre domaine.» «Ça», c’est le travail de sape du mildiou, le champignon tueur de raisin, prolifique sur les surfaces humides. Les pluies exceptionnelles de juin et juillet l’ont rendu précoce et dévastateur.
Attendons-nous à beaucoup entendre «50%». Cette part qui manquera à la viticulture suisse lors des prochaines vendanges. Une moyenne, car les pertes seront supérieures dans les régions frappées au printemps par la grêle, cet autre fléau.
Faute de quantité, on espère la qualité. Comme l’explique Hubert Louis, responsable de la production des Caves de la Ville de Berne, à La Neuveville, dans le Jura bernois: «Le mildiou provoque le pourrissement de tout ou une partie de la grappe, mais il n’altère pas le goût des grains qui ont résisté au champignon. Contrairement à l’oïdium, un autre parasite auquel nous avons eu droit aussi, et qui modifie le vin sur un plan gustatif.»
Avec vingt-quatre hectares, les Caves de la Ville de Berne sont le plus grand producteur des coteaux du lac de Bienne.
Mais le beau temps est revenu et avec lui une petite lueur, même si la grêle a salement amoché les cinq hectares de vignes que possèdent les Caves sur l’Île Saint-Pierre, flottant tel un nénuphar sur le lac de Bienne. «Le soleil et la bise, ces jours-ci, font du bon travail. Pourvu que ça dure jusqu’aux vendanges», prie Hubert Louis.
Le domaine qu’il supervise est tout entier passé au bio. Génial! En fait, pas tant que ça. Le bio aura sans doute bien plus pâti du temps exécrable des mois de juin et juillet que la viticulture dite intégrée. Laquelle autorise une pulvérisation pénétrante des antimycosiques, alors qu’elle ne peut être qu’en surface des grains en régime bio.
«Comme il pleuvait sans arrêt, nous devions passer parfois tous les deux jours dans les vignes pour les sulfater avec de la bouillie bordelaise, un mélange de souffre et de cuivre destiné à combattre le mildiou», explique Hubert Louis. Problème: la terre étant détrempée, le tracteur tassait le sol, s’y enfonçait. Si bien qu’il a fallu de temps en temps renoncer au sulfatage. Les pertes en chasselas s’annoncent particulièrement sévères. Le pinot noir devrait mieux s’en sortir.
Au Landeron, commune neuchâteloise voisine, Jean-Claude Angelrath, vigneron-encaveur veillant sur six hectares (du chasselas au pinot noir en passant par le pinot gris et le riesling-sylvaner, entre autres cépages), devrait limiter les dégâts dus au mildiou. En effet, le domaine du Neuchâtelois est en production intégrée et non pas en bio. «Parmi les avantages, cela nous permet de réduire le nombre d’allées et venues dans les vignes», explique-t-il. Sa production devrait chuter d’un tiers: 20 000 litres au lieu des 30 000 obtenus ordinairement.
Nos vignerons sont pudiques. Lorsqu’ils évoquent des drames, ils regardent en France voisine. Hubert Louis cite le cas d’un viticulteur du Jura français qui s’est suicidé. Du côté d’Arbois, ou tout au nord de la Bourgogne, les vignes ont pris un terrible coup de gel au printemps. Un phénomène qui a relativement épargné la Suisse romande.
Il reste maintenant à écouler la future production. Qui probablement sera vendangée en octobre avec quinze jours de retard. Alors que la fin 2020 et le début 2021 avaient été bien sombres pour le commerce viticole – les grossistes étaient moyennement preneurs d’un vin difficile à écouler en raison du Covid –, le maigre rendement de cette année ne devrait pas engorger les stocks.
A Fully, où le vignoble est si beau, Jean-Michel Dorsaz hésite pour son muscat: sec ou vendange tardive? Un sacré pari.